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Théâtre

Clown blanc sur fil rouge... en fol équilibre entre non-théâtre et cabaret métaphysique

Après Avignon Off 2012 >> Reprise, "Ça par exemple !", À La Folie Théâtre, Paris

De petites démonstrations en questionnements personnels, François Jenny, dans "Ça par exemple !", nous emmène dans un univers onirique et humoristique, celui du clown blanc... de celui qui sait que ce n'est pas lui mais l'Auguste qui fait rire le public. De ce postulat, il tisse une trame en forme de cabaret, décalé mais nourri de ces mille feux qui habillent la piste de cirque tout comme la scène de théâtre.



François Jenny © DR Avignon le OFF.
François Jenny © DR Avignon le OFF.
Clown blanc, clown triste... sérieux, trop parfois, contrepet pour mieux être le faire-valoir de l'Auguste tout en gardant sa dignité. Sauf qu'ici, il est tout seul et il interroge son clown "blanc" intérieur sur sa raison d'exister, d'être, de vivre sans son alter-ego, sans la piste. Pour cela, traversant l'arc linéaire du cabaret, il revisite tous les effets burlesques, absurdes, cabaresques et clownesques de la pratique comique de son personnage, sans oublier la poétique drama des livrets lyriques.

Entre absurde, métaphysique et humour mordant, questions essentielles - "Qui suis-je ?", "Qui ne suis-je pas ?", Comment commencer ?", "Sommes-nous vraiment au spectacle ?", etc. - et démonstrations affirmatives - introduites par un "Ça par exemple" - se bousculent, s'entrechoquent et s'entremêlent pour autant de mini-numéros dérisoires mais d'une réelle virtuosité visuelle et verbale (vocale!). Dans ce cabaret de l'imaginaire, le clown rencontre le conteur et, usant de l'art de l'ellipse et de la théâtralité surréaliste, François Jenny nous entraîne dans un dédale d'images et de mots où, sans nous perdre, il passe du rire à l'émotion.

Introduisant d'emblée ses aversions, avec fantaisie et dérision, il nous parle de Catherine Deneuve - "Catherine Deneuve,elle, c'est évident, on sait... que c'est Catherine Deneuve" -, de la cervelle d'agneau, de Jean-Pierre Coffe ou des parapluies - "Je hais les parapluies... Je ne couche jamais avec une femme à parapluie". Puis viennent les expressions toutes faites qui nous valent une superbe digression "autour du pot" : "La fonction du pot ? C'est le vide qui donne sa fonction. Le remplir est son utilité, sa seule raison d'exister, c'est de le remplir".

François Jenny © DR Avignon le OFF.
François Jenny © DR Avignon le OFF.
Dans ce spectacle, où les confrontations peuvent vite devenir surréalistes (on n'est pas loin de l'univers pataphysique de Lautréamont), les surprises - jubilatoires - se succèdent. Notamment avec un réussi "opéra d'objets" qui nous permet de redécouvrir un extrait du "Requiem" de Mozart dont la soprano est une théière et le ténor, une timbale en étain. Occasion d’apprécier également le talent vocal de François Jenny.

S'ensuit une série de "propositions" teintées d'absurde, d'hilarité ou de tendresse où nous sont présentées "La Petite Goutte" ou "Pourquoi les héros font rarement pipi... surtout au cinéma !", la problématique historique des accents dont l'alsacien, langue de naissance de l'artiste, la découpe du poulet rythmée par le "I'm Sorry" de Brenda Lee - image d'un strip-tease carnassier -, ou la relation entre le couteau et la banane...

Et du clown à l'enfant, il n'y a qu'un pas... petits pas du petit garçon qu'il était... que nous étions... souvenirs de vacances mémorisés en Super 8... de l'enfant sur la plage, au bord de l'eau, avançant et reculant en fonction du flux et reflux des vagues... imité, mimé, pour retrouver la candeur, la fraîcheur de notre gestuelle, de nos rires enfantins.

Car, c'est bien de cela dont il s'agit dans le spectacle de François Jenny... la volonté de retrouver notre âme et notre joie d'enfant, cet "avant d'être adulte", cet "avant que je sois devenu sérieux", cette époque où les clowns nous faisaient encore rire, de ce rire gratuit, innocent, spontanée et libre. Et les clowns, blanc ou Auguste, avec ou sans nez rouge, par leur jeu, leur effronterie, leur audace sont l'expression de cette liberté... François Jenny, en faisant appel à notre imaginaire et en usant parfois d'un humour non dénué d’absurde et de cruauté, nous rappelle que, si nous sommes des adultes, un enfant sommeille toujours en nous... et que nous aimons cette liberté.

"Ça par exemple !"

François Jenny © DR Avignon le OFF.
François Jenny © DR Avignon le OFF.
De François Jenny.
Mise en scène : Vincent Kuentz & François Jenny.
Lumière : Luc Jenny.
Décor : Samuel Misslen.
Vidéo : Matthias Jenny.
Avec : François Jenny.
Durée : 1 h 10.

Du 1er mars au 1er juin 2013.
Vendredi et samedi à 21 h.
À La Folie Théâtre, Salle Petite Folie, Paris 11e, 01 43 55 14 80.
>> folietheatre.com
À suivre... Avignon Off 2013

Avignon Off 2012
Spectacle du 6 au 28 juillet 2012.
Tous les jours à 18 h 30.
Théâtre Les Ateliers d'Amphoux, 10-12, rue d'Amphoux, Avignon, 04 90 86 17 12.
>> theatre-amphoux-avignon.com

Gil Chauveau
Vendredi 13 Juillet 2012

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023