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Lyrique

Charles Dutoit emmène le public au paradis avec "La Damnation de Faust"

L'année de commémoration de la disparition d'Hector Berlioz commence très fort avec la superbe soirée donnée à la Philharmonie de Paris. Charles Dutoit, à la tête d'un quatuor de chanteurs talentueux, de l'Orchestre national de France et des forces chorales de Radio France, a enchanté le public.



© Radio France.
© Radio France.
"La Damnation de Faust" en version concert ? Ce n'est pas vraiment un problème pour une œuvre appelée d'abord "opéra de concert" par Berlioz, puis sous-titrée "légende dramatique" : une œuvre d'un genre nouveau dont la musique est si génialement évocatrice qu'elle se passe de mise en scène surtout quand un chef de la trempe de Charles Dutoit est à la tête d'un orchestre qu'il connaît bien pour en avoir été le directeur musical de 1991 à 2001.

Œuvre éminemment personnelle destinée d'abord au concert, au livret inspiré par la traduction du (premier) "Faust" de Goethe par Gérard de Nerval, elle relève de la fantaisie romantique avec ses scènes qui entraînent son héros des plaines hongroises à son cabinet, d'un cabaret à Leipzig au bord de l'Elbe, de la maison de Marguerite à un défilé montagneux désolé, de l'enfer au paradis en dix tableaux. D'une impressionnante variété d'inspiration et de formes, les pages symphoniques succèdent aux ballets, les grandes ballades à l'oratorio final non sans avoir intégré auparavant le folklore de chansons populaires.

Quand l'opéra de Berlioz rencontre les interprètes qui parlent supérieurement sa langue, le plaisir et l'émotion font de ces deux heures quinze de musique (sans entracte, un vrai bonheur) une soirée d'exception. C'est l'expérience qui a été donnée à vivre au public de la Philharmonie.

"La Damnation de Faust" © Christine Ducq.
"La Damnation de Faust" © Christine Ducq.
Charles Dutoit est d'abord le chef rêvé pour redonner vie au chef-d'œuvre selon les vœux de son créateur : "Mes œuvres exigent une combinaison de verve irrésistible et la plus grande précision, une violence contrôlée, une sensibilité onirique, sans laquelle le caractère essentiel de mes phrases est falsifié ou même effacé." Berlioz a trouvé avec le chef Dutoit un interprète de rêve.

L'Orchestre national de France, à son affaire, a brillé sous sa direction dans l'épopée barbare ou fantastique comme dans le lyrisme élégiaque ; la finesse des aplats, les contrastes brillants le disputant à un sens superlatif des dynamiques pour des plans sonores extraordinairement ciselés.

Un travail rare possible grâce aux super solistes de l'orchestre passionnément au service de cette partition rhapsodique - travail qu'on a entendu jusqu'au souci rythmique de faire sentir le mouvement même. Une soirée de référence du point de vue orchestral et choral, moins idéale en ce qui concerne le quatuor de chanteurs.

John Osborn, déjà entendu dans le rôle de Benvenuto Cellini à Paris il y a peu, compose un Faust touchant et sensible. Une belle diction et une technique sans reproche ne parviennent à faire oublier qu'on ne ressentira pourtant pas le grand frisson trouble que peut offrir un grand héros romantique (tel un Jonas Kaufmann) - même dans le superbe "Nature immense, impénétrable et fière" de la dernière partie. Le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer est un Brander plus fin que burlesque, de belle prestance.

Le Méphisto de Nahuel di Pierro est extraordinaire pendant la première moitié de l'opéra mais son chant perd ensuite relief et truculence : son invocation de la troisième partie comme celle qui précède la chevauchée vers l'abîme vacillent dangereusement vers la platitude. La mezzo Kate Lindsey est une délicieuse Marguerite. Sa Ballade des Rois de Thulé teintée des couleurs les plus exquises prépare le bouleversant "D'Amour l'ardente flamme" accompagnée du cor anglais.

La mezzo possède une voix admirable dans tous les registres, il n'est pas jusqu'à sa curieuse prosodie du français qui ne soit un charme supplémentaire. Le Chœur de Radio France, désormais dirigé par Martina Batic, offre une prestation qui est un régal de tous les instants : anges ou démons, villageois ou étudiants, il est un partenaire solide et montre une confondante aisance quels que soient les climats et récits de cette "Damnation", un alter ego de l'orchestre en matière d'excellence.

Opéra en version de concert entendu en février 2019.

Diffusion du concert disponible sur le site de France Musique.

Programme des concerts de Radio France :
>> maisondelaradio.fr/agenda

Christine Ducq
Lundi 18 Février 2019

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Concerts | Lyrique







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Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
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© Delphine Royer.
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Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

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15/05/2025
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Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

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