La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Cavalleria Rusticana" et "Pagliacci" à Bastille : Vengeance, oreille mordue et soleil sicilien au programme !

Les deux opéras sont souvent représentés ensemble en raison de leur (relative) brièveté. "Cavalleria Rusticana" est un opéra en un acte de Pietro Mascagni et son seul chef d’œuvre. Le livret est tiré d'une nouvelle de Giovanni Verga, le Zola italien. Il a été créé en 1890 et fait cette année son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris.



"Cavalleria Rusticana" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
"Cavalleria Rusticana" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
L’intrigue a la simplicité des tragédies grecques, et leur emprunte aussi une issue sanglante. Le "chevalier rustique", c’est Turiddu, un jeune soldat amant de Lola, une femme mariée au charretier du village, Alfio. Ce n’est pas une très bonne idée : l’action se situe dans un village sicilien à la fin du dix-neuvième siècle ! Pour couronner le tout : Turiddu, décidément inconscient, a séduit et abandonné la jeune Santuzza.

J’ai l’air d’en rire mais c’est à une véritable cérémonie tragique que le spectateur est invité. C’est un dimanche de Pâques écrasé de soleil où les villageois - excellents chœurs de l’Opéra - ont beau chanter la gloire du Christ mis en croix et ressuscité ("Inneggiamo, il Signor non e morto"), le message évangélique n’a pas pénétré les hommes. Le destin est en marche, implacable. Les décors de Johannes Leiacker, dans la mise en scène de Giancarlo del Monaco, sont beaux. Le marbre éblouissant des murs soulignent les habits endeuillés des femmes. On pense aux films de Francesco Rosi.

"Cavalleria Rusticana" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
"Cavalleria Rusticana" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
La minéralité écrasante sur scène dit bien le poids de la tradition et de la fatalité. Alfio tuera Turiddu, dénoncé par Santuzza. L’intensité des grandes séquences instrumentales et des airs soulignent avec force des situations dramatiques au cordeau. La dernière heure de la trilogie du "Parrain" de Francis Ford Coppola est, on s’en souvient, magnifiée par cet opéra, dont la représentation à Palerme "rime" en un prodigieux montage alterné avec la conclusion sanglante de l’histoire de la famille Corleone.

La soprano Violetta Urmana a impeccablement chanté -mais sans âme hélas - le rôle de Santuzza. On regrette que le ténor Marcello Giordani - très bon chanteur du reste - ait plus l’air dans cette production du charcutier du coin, plutôt que du jeune et séduisant Turiddu qu’il devrait incarner ! (Certes, il y aurait eu du travail mais on a assisté à d’autres miracles sur scène…). Enfin, on est toujours heureux de retrouver Franck Ferrari, notre baryton national.

"Pagliacci" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
"Pagliacci" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
Cependant, l‘émotion, la vraie, celle qui vous déchire l’échine sans crier gare, c’est le Paillasse de Vladimir Galouzine qui nous en a fait cadeau. Soudain, le temps s’est arrêté, l’espace s’est déchiré aux accents de sa douleur dans le célébrissime air "Vesti la giubba" et son "Ridi Pagliaccio" déchirant.

Paillasse, c’est le bouffon au cœur brisé de l’opéra en deux actes de Ruggero Leoncavallo, "Pagliacci", créé à Milan en 1892. Une troupe de comédiens ambulants doit donner une représentation en soirée dans une petite ville calabraise et, évidemment, la vie va se charger de copier et dépasser la fiction dans une mise en abîme célèbre. Le bouffon Paillasse est trompé sur scène par son épouse, Colombine, comme le comédien Canio/Paillasse l’est vraiment par sa Colombine/Nedda de femme. Le jour de l’Assomption n’y changera rien, car la grâce a déserté cette humanité grotesque et sublime.

"Pagliacci" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
"Pagliacci" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
C’est encore dans le sang que Paillasse vengera son honneur et son amour ridiculisé. Notons une jeune Nedda très prometteuse, la hongroise - très belle et vocalement parfaite - Brigitta Kele. Il ne lui manque à 25 ans que d’avoir vécu de grandes passions - sans doute - pour l’insuffler dans son chant. Répétons-le, le ténor russe Vladimir Galouzine est exceptionnel. On se souviendra longtemps de son cri final : "La commedia e finita"... Et on a hâte de l’entendre encore à Paris.

Le chef Daniel Oren a remarquablement défendu ces deux professions de foi véristes. Il a dominé de bout en bout les partitions, la bravoure des bois et des vents faisant jeu égal avec le pathétique des cordes. Il a été acclamé à juste titre. Une belle production en ce jour d’élection présidentielle (spectacle vu le 6 mai 2012).

"Cavalleria Rusticana" et "Pagliacci"

"Pagliacci" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
"Pagliacci" © Mirco Magliocca/Opéra de Paris.
En langue italienne.
Direction musicale : Daniel Oren.
Mise en scène : Giancarlo Del Monaco.
Décors : Johannes Leiacker.
Costumes : Birgit Wentsch.
Lumières : Vinicio Cheli
Chef du Chœur : Patrick Marie Aubert.

"Cavalleria Rusticana"
Melodramma en un acte (1890).
Musique de Pietro, Mascagni (1863-1945).
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci d'après une nouvelle de Giovanni Verga.
Avec : Violeta Urmana (Santuzza), Marcello Giordani (Turiddu), Stefania Toczyska (Lucia), Franck Ferrari (Alfio), Nicole Piccolomini (Lola).

"Pagliacci"
Opéra en deux actes (1892).
Musique et livret de Ruggero Leoncavallo (1858-1919)
Avec : Brigitta Kele (Nedda), Vladimir Galouzine (Canio), Sergey Murzaev (Tonio), Florian Laconi (Beppe), Tassis Christoyannis (Silvio).

Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris.
Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’Enfants de l’Opéra national de Paris .
Production du Teatro Real, Madrid.

Du 13 avril au 11 mai 2012.
Dernière le 11 mai à 19 h 30.
Opéra Bastille, Paris 12e, 01 73 60 26 26.
>> operadeparis.fr

Christine Ducq
Jeudi 10 Mai 2012

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024