La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Bohème, notre jeunesse" et notre plaisir à l'Opéra Comique

L'Opéra Comique programme jusqu'au 17 juillet 2018 une version en français du chef-d'œuvre de Puccini, "La Bohème", avant une tournée en régions. Réorchestrée avec talent pour treize musiciens et huit chanteurs, cette version intimiste ravit cœurs et esprits grâce à une mise en scène poétique, à une troupe de chanteurs formidables et aux musiciens des Frivolités Parisiennes.



© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Comment intéresser mélomanes avertis et en même temps démocratiser l'accès au genre de l'opéra pour des publics éloignés ou indifférents ? Et ce, tout en respectant une vocation ancienne (depuis l'Ancien Régime) de l'Opéra Comique essaimant ses productions en région ? Il suffit d'une idée géniale !

Prenez un chef-d'œuvre populaire, donnez-en une version courte en français, dans une production de grande qualité assez astucieuse pour être montée dans n'importe quel théâtre. Choisissez de surcroît une troupe brillante à la mise en scène comme sur le plateau et dans la fosse. C'est ce que réussit aujourd'hui l'Opéra Comique avec "Bohème, notre jeunesse" en coproduction avec l'Opéra de Rouen et le Théâtre Montansier.

Créé au Teatro Regio de Turin en 1896 sous la direction de Toscanini, le quatrième opéra de Giacomo Puccini est donné dès 1897 en français à l'Opéra Comique - comme c'est la tradition alors. Le succès de cette version française, dont le livret original en italien est inspiré des "Scènes de la vie de bohème" d'Henri Murger, est tel qu'elle tiendra l'affiche jusqu'en 1971. Aujourd'hui, ce mélodrame portant sur les années de vache maigre d'une bande de jeunes artistes et leurs amours compliquées revient Salle Favart dans une attachante nouvelle version.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
De l'opéra initial en quatre actes, la metteure en scène (et auteure d'une nouvelle traduction du livret d'origine) Pauline Bureau et le compositeur Marc-Olivier Dupin offrent donc une "Bohème" rajeunie et fraîche d'une heure trente. Écrite pour huit chanteurs et treize musiciens, elle semble d'abord relever de la gageure ; et pourtant le résultat est plus que probant. Nous voilà captivés de bout en bout.

L'adaptation musicale raffinée de Marc-Olivier Dupin ne cède rien au génie du compositeur italien. Il utilise toutes les ressources en termes de couleurs et d'expressivité de quatre cordes (aiguës et graves), d'un quatuor à vent (flûte, hautbois, clarinette et basson), de la harpe, de l'accordéon et de percussions (timbales, claviers et accessoires). Les Frivolités Parisiennes dirigées par Alexandra Cravero embrasent la salle Favart avec cette nouvelle partition lyrique et intimiste. On se délecte aussi de ces accents qui évoquent le Paris éternel avec les caresses nostalgiques de l'accordéon.

Évoluant dans un joli décor (dû à Emmanuelle Roy) avec ses portiques habillés par la vidéo poétique de Nathalie Cabrol et les belles lumières de Bruno Brinas, les jeunes chanteurs de la Nouvelle Troupe Favart étincellent. On retrouve avec gourmandise l'excellent Kevin Amiel en Rodolphe au timbre clair, au registre étendu et à la facilité évidente.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
La soprano Sandrine Buendia, voix pure et subtilement colorée, est une Mimi douée et bouleversante. Le couple tumultueux non moins remarquable, formé par la Musette (irrésistible garce au bon cœur) de Marie-Eve Munger et le Marcel plein de fantaisie de Jean-Christophe Lanièce, incarne leur exact opposé tout en offrant un contrepoint comique.

Avec leurs compagnons de misère insolemment campés (Nicolas Legoux, Ronan Debois, tous deux très bien), ces bohémiens nous amusent et nous touchent comme jamais. On promet un beau destin à ce parfait spectacle, destiné à tourner dans toute la France dans les années à venir.


Du 9 au 17 juillet à 20 h et le 15 juillet 2018 à 15 h.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Opéra Comique.
1, Place Boieldieu Paris (2e).
Tél. : 0 825 01 01 23.
>> opera-comique.com

Tournée 2019 (en cours)
Théâtre Jean Vilar à Suresnes les 16 et 17 avril 2019.
Théâtre Montansier à Versailles les 16 et 17 mai 2019.


"Bohème, notre jeunesse" (2018).
Opéra en français d'après Giacomo Puccini.
Adaptation musicale de Marc-Olivier Dupin.
Traduction en français et mise en scène de Pauline Bureau.
Surtitrage en français et en anglais.
Durée : 1 h 30 sans entracte.

Christine Ducq
Vendredi 13 Juillet 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024