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Théâtre

Avignon Off 2013 : Matéi Visniec nous dit les effets des tragédies d'aujourd'hui sur les petites gens

"Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux", Théâtre des Lucioles, Avignon

C’est un vieil homme qui creuse des trous dans la forêt… Matei Visniec (auteur roumain), dans "Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux", sur la base de dépêches de l’Agence France Presse, fait œuvre théâtrale et restitue les effets de la tragédie sur les petites gens abasourdis.



© David Krüger/DAK.
© David Krüger/DAK.
L’après-guerre des Balkans. Une matière de tragédie que le monde veut oublier au risque d’effets délétères sur les consciences.
Entre la mémoire et l’oubli, des scènes comiques ou triviales s’immiscent. Retour à la vie.

Empruntant à une tradition de l’Europe de l’Est par laquelle, de manière inversée, les morts sont vivants et conversent avec les survivants et les apaisent ; l’écriture laisse un grand espace ouvert au jeu, à l’expression des sentiments. Et lorsque cette écriture manie l’humour noir, c’est aux conditions de l’affection. Cette œuvre parce qu’elle est théâtre met en mouvement la fin de l’ubris, illustre le début de la catharsis.

Le travail de mise en scène effectué par Henri Dalem et le jeu de ses comédiens convainc le spectateur. Parce que cette troupe fait confiance à la puissance des archétypes qui structurent toute tragédie et parce qu’elle ne perd jamais de vue qu’elle n’est que théâtre (et à cet égard les masques jouent pleinement leur rôle), parce qu'elle s’appuie sur les ressorts dramatiques de l’œuvre de Matei Visniec avec délicatesse et tact, parce qu’elle se montre sans complaisance dans ses rapports au sujet, la représentation laisse la raison réfléchir, le rire se libérer et transpirer le désir, l’espoir dans une nation apaisée réconciliée. Le public en est à l’évidence l’embryon.

© David Krüger/DAK.
© David Krüger/DAK.
Le spectateur accompagne dans l’attention les instants douloureux du retour à la réalité après la folie meurtrière. Les expédients trouvés pour survivre. Les déchirures intimes et les deuils et leur banalité. Le village disloqué, le retour des vieux parents pétrifiés dans la maison dévastée, la disparition du fils, les nouveaux voisins qui vendent de tout, l’exil de la fille. Le silence lourd sur les événements, le jeu de piste pour les reconstituer. Les fouilles pour donner sens aux restes et donner sépultures dignes.

Le spectateur applaudit des deux mains ce théâtre de cœur et de raison qui témoigne de l’universel.

"Le mot i[progrès]i dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux"

Texte : Matéi Visniec.
Mise en scène : Henri Dalem.
Interprètes : Emilie Bouruet-Aubertot, Paméla Ravassard, Laurent Labruyère, Garlan Le Martelot, Sébastien Libessart.
Lumières : Rémi Saintot.
Durée 1 h 30.
Par Paradoxe(s).

Avignon Off 2013
Du 6 au 28 juillet 2013.
Tous les jours à 13 h 30.
Théâtre des Lucioles, Grande salle, Avignon, 04 90 14 05 51.

Jean Grapin
Jeudi 25 Juillet 2013

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

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15/09/2023