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Lyrique

Alberto Caruso, compositeur sans frontières

Quoi de plus passionnant que de rencontrer un compositeur d'aujourd'hui ? Le pianiste, chef d'orchestre et compositeur Alberto Caruso, Premio Personalità Europea de la ville de Rome, a plusieurs projets dont une messe destinée à la prochaine Congrégation générale des Jésuites et un opéra.



"Le Petit Prince" (2015), musique d'Alberto Caruso à l'Opéra de Turin © DR.
"Le Petit Prince" (2015), musique d'Alberto Caruso à l'Opéra de Turin © DR.
Pour ce dernier, il s'agit d'une œuvre lyrique, au livret en français, sur le personnage d'Héliogabale qui constituera le troisième opéra du compositeur italien né en 1968. Première rencontre à Rome avec l'un des plus cosmopolites des acteurs de la scène musicale italienne contemporaine.

Quand il décroche ses diplômes de direction d'orchestre (avec Mario Lamberto) et de composition (avec Giuseppe Elos) au début du nouveau siècle au Conservatoire Giuseppe Verdi de Turin (comme son compositeur préféré Luciano Berio des années plus tôt), Alberto Caruso a déjà une riche expérience de chercheur au Japon et de concertiste sur plusieurs continents. Par ailleurs Fabio Nieder est son premier professeur de piano au Conservatoire de Udine et il jouera un rôle important dans la formation de compositeur d'Alberto Caruso qui n'a alors que treize ans.

Après avoir obtenu son diplôme supérieur de piano sous la direction de Sergio Perticaroli dans la plus ancienne et respectée des institutions musicales italiennes, l'Accademia Nazionale di Santa Cecilia à Rome, le jeune musicien part au Japon et décroche par concours une bourse au Kunitachi College of Music à Tokyo pour y étudier la musique nipponne traditionnelle et contemporaine. Outre la rencontre avec de grands compositeurs tels Toru Takemitsu, Teizo Matsumura et Yuji Takahashi, les liens avec le pays du soleil levant ne se démentiront plus puisque son premier opéra "Le Petit Prince" y sera créé en 2008 - en japonais.

Opéra "The Master" (2014), Colm Tóibín et Alberto Caruso au Boulder Colorado Opera © DR.
Opéra "The Master" (2014), Colm Tóibín et Alberto Caruso au Boulder Colorado Opera © DR.
En plus des concerts aux États-Unis, en Europe et en Asie comme pianiste, Alberto Caruso débute parallèlement une carrière de compositeur de films (et de théâtre) en 2000, suivant en cela le conseil avisé de son mentor Franco Mannino, le fameux complice du cinéaste Luchino Visconti. Enthousiasmé par un récital Schumann auquel il a assisté, Franco Mannino écrit pour le jeune pianiste (en le lui dédicaçant) son quatrième Concerto pour piano et orchestre opus 561 qu'Alberto Caruso crée à New York en 1998. Ceci deux ans après que le jeune interprète a créé son Concerto opus 467 pour clavecin et orchestre - avec Mannino lui-même à la baguette. Alberto Caruso ne cesse pour autant de composer une œuvre personnelle d'abord dédiée au piano et à l'orchestre.

En Italie, le jeune compositeur poursuit sa formation avec des professeurs de la trempe de Carlo Maria Giulini pour la direction d'orchestre, Daniele Zanettovich à Udine, Alexander Mullenbach à Salzbourg pour la composition. Certaines années, nous confie en riant Alberto Caruso, il sillonne l'Italie en avion trois fois par semaine pour mener à bien ses différentes tâches en plus de la responsabilité d'un poste d'enseignant de conservatoire à Palerme puis Sassari ! Puis il s'envole à Los Angeles en 2000 pour trois ans et travaille dans les studios d'Hans Zimmer comme assistant du compositeur de musique de films Henning Lohner. Eclectisme et liberté sont certainement les maîtres mots qui définissent le travail créateur d'Alberto Caruso - au nom prédestiné à servir la musique. Il tient à nous assurer avec une belle fougue qu'il ne faut pas compter sur lui pour juger de ses œuvres selon qu'elles soient destinées au concert, à l'opéra, au théâtre ou aux studios de cinéma. La musique écrite avec de l'esprit et du cœur a toujours droit de cité.

Colm Toibin, Ron Daniels et Alberto Caruso © DR.
Colm Toibin, Ron Daniels et Alberto Caruso © DR.
En 2008, Bruno Cagli alors directeur de l'Accademia Santa Cecilia passe une série de commandes à de jeunes compositeurs. Alberto Caruso est choisi pour écrire un opéra de chambre - sa première œuvre lyrique - sur un sujet de son choix à destination de la saison "Jeune Public" de la vénérable institution. Alberto Caruso choisit la nouvelle de Saint-Exupéry, en écrit le livret et la partition mais la crise économique vient d'éclater avec la catastrophe que l'on sait - pesant impitoyablement sur les institutions musicales en Italie depuis cette date. La saison pour le jeune public est annulée. C'est donc à Tokyo que sera créé "Le Petit Prince" et il faudra attendre le 15 juin 2015 pour que l'œuvre connaisse un beau succès avec une première italienne à Turin au Teatro Carignano avec notamment la soprano Claudia Sasso, le ténor Mattia Pelosi et le baryton Richard Alexandre Rittelmann.

Son deuxième opéra "The Master" verra le jour en 2012 après que Alberto Caruso (un grand lecteur devant l'éternel) a lu le livre que le romancier irlandais Colm Tóibín a consacré à Henry James. Ce portrait rêvé d'un artiste au mitan de son âge déchiré entre les impératifs de l'œuvre à écrire et les aspirations contradictoires de la vie a trouvé un écho tant chez le compositeur que le romancier qui en écrira le livret. Avec la complicité du metteur en scène Ron Daniels, directeur associé de la Royal Shakespeare Company de Londres et du Los Angeles Opera, "The Master" sera créé en 2014 avec une troupe de jeunes artistes du département musique de l'université Colorado in Boulder. En 2015, le compositeur se voit attribuer une bourse résidentielle de la prestigieuse Fondation Bogliasco pour cet opéra.

"Prima le parole e poi la musica" : dans le sillage de la grande tradition opératique initiée par Monteverdi, l'inspiration chez le compositeur né à Trente mais romain d'adoption est en effet littéraire et détermine les paysages sonores variés que déploieront ses opus. Son écriture musicale ne craint pas d'explorer les frontières de l'atonalité, d'exploiter les procédés plus classiques du contrepoint et de l'harmonie, ou encore de structures répétitives.

Alberto Caruso aime à invoquer ainsi (entre autres grands ancêtres tels Bach et Beethoven) la grande figure d'Igor Stravinsky pour son indépendance, son peu de souci des écoles et son utilisation de répertoires folkloriques divers. Et de nous rappeler la grande leçon d'Arnold Schoenberg dans son traité des "Harmonielehre" et son éloge d'une harmonie fluctuante, d'une "émancipation de la dissonance" mais aussi de l'héritage du système tonal envisagés comme autant d'espaces utopiques, libertaires bien faits pour un musicien universaliste, sans frontières et sans préjugés.

La philosophie et la foi tiennent aussi une place prépondérante dans le travail d'Alberto Caruso. Rien d'étonnant donc à ce qu'on lui ait passé la commande d'une messe pour la future élection du nouveau supérieur général des Jésuites qui se tiendra en 2016 à Rome. Eclectisme disait-on ? Son prochain opéra dont le livret a été confié à Sébastien Mullier aura pour héros un empereur controversé de l'Antiquité Héliogabale dont il compte bien réhabiliter la figure d'artiste total et la geste de prêtre adorateur du soleil. À suivre donc.

>> albertocaruso.com

Principaux repères :
2014 : "The Master", opéra en trois actes sur un livret de Colm Tóibín adapté de son roman.
2013 : "Banuru Songs" pour soprano, chœur et orchestre sur des poèmes de Vivienne Glance. Joondalup Festival Australie.
2008 : "Il Piccolo Principe", opéra en trois actes, musique et livret d'Alberto Caruso (d'après Saint-Exupéry).
2001 : Diplôme de Direction d'orchestre, Conservatoire Giuseppe Verdi Turin.
2000 : Diplôme en Composition, Conservatoire Giuseppe Verdi Turin.
1992 : Diplôme supérieur en Piano, Accademia Nazionale Santa Cecilia Rome.
1989 : Diplôme "summa con laude" en Piano, Conservatoire Santa Cecilia Rome.

Christine Ducq
Lundi 31 Août 2015

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