La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Amour et Psyché" Comme le souvenir du fumet des dieux

"Amour et Psyché", Théâtre 71, Malakoff

"Il était. Une fois. Une jeune fille, trop belle, Psyché, trop jalousée qui, offerte en sacrifice à un dragon, tombe dans le filet du fils de Vénus, Amour. Il était… une fois… la belle et… la bête. Et tout ce qui s'ensuit.



© Mario Del Curto.
© Mario Del Curto.
Omar Porras met en scène "Amour et Psyché", cette pièce mythique de Molière jouée en 1671 qui est un véritable point aveugle des arts de la scène. Parlée, dansée, bordée de musique, la pièce fait miroiter tous les genres. "Amour et Psyché" est une tragédie-ballet, le rêve avorté de l'opéra dont ne voulut pas Lully.

Dans la version proposée, Omar Porras écourte, concentre, cristallise, prend le fil conducteur venu d'Apulée, met en valeur les vers de Corneille, les épisodes de La Fontaine, joue à l'impromptu, retravaille comme on le fait d'un palimpseste, rend hommage au talent d'entrepreneur de spectacles, de ce rapiéceur de génie qu'était Molière. "Amour et Psyché" émerveille. "Amour et Psyché" fait le rire et la gravité.

Omar Porras exploite avec malice, espièglerie même, toutes les ressources de la scène, les cintres, les filins, l'avant-scène, les faux marbres et les tentures de gaze. Rarement, les coulisses ont, à ce point, mérité leur nom car tout coulisse, glisse, tout surprend, tout s'épaule et s'accompagne : les mots, les gestes, les couleurs, les lumières, les musiques, les gags. La scène est une synesthésie.

© Mario Del Curto.
© Mario Del Curto.
Ainsi, les sœurs, "maquillées" comme pétrifiées dans la rigidité de leur éducation en devenant vertes de jalousie, prennent-elles discrètement la couleur acide de pommes d'api pas mûres sous l'effet d'un pinceau de lumière invisible. Ainsi, le mollet galbé apparaissant derrière une colonne fige-t-il les rires naissants quand apparaît la personne qui le meut. Un être irréel au mouvement maitrisé, mesuré, souple, doux, attentif. Tout en écho. Animé. La puissance d'apprivoisement. Une apparition. C'est l'emprise de l'Amour. Louis XIV en pied.

Dans cette dimension de la scène, la conscience des comédiens est constante, exigeante, et l'ensemble de la troupe a une organicité complète. Elle produit un effet théâtre sans cesse renouvelé, allant du rire franc à la mélancolie, de la tristesse à l'ineffable.

Ainsi représenté, le théâtre n'est pas un art de l'éphémère mais un art de l'apparaître dans le mouvement de l'apparition. Un art de la surprise qui concentre et diffuse l'énergie. Un feu d'artifice déclenché par le regard, le mouvement des doigts et des poignets, les paroles prononcées. Une cascade de métamorphoses qui décline les états de la matière du plaisir. L'émotion. La surprise.

Dans l'histoire racontée, Amour et Psyché (protagonistes de la pièce éponyme) engendrent la Volupté. Ils engendrent aussi pour les simples mortels composant le public un spectacle qui, dans la réciprocité des signes et leur ambivalence, présente comme le souvenir du fumet des dieux.

Molière est approché de très, très près. Le spectateur en supplément du plaisir comprend les rapports de l'auteur avec la machine théâtrale*, ses démêlés avec la cour, avec le roi. Le rire et la beauté mêlés comme des actions de grâce. Comme moyens de lutter contre la bêtise.

* Ce deus ex machina se trouvait au château des Tuileries dans la salle des machines. Le musée du Louvre pourrait la recontruire.

"Amour et Psyché"

© Mario Del Curto.
© Mario Del Curto.
D'après Molière.
Adaptation : Marco Sabbatini, en collaboration avec Omar Porras et Odile Cornuz.
Mise en scène : Omar Porras.
Assistante à la mise en scène : Odile Cornuz.
Avec : Yves Adam, Jonathan Diggelmann, Karl Eberhard, Philippe Gouin, Maëlla Jan, Jeanne Pasquier, Emmanuelle Ricci, Juliette Vernerey.
Scénographie : Fredy Porras.
Création lumières : Mathias Roche.
Directeur technique : Gabriel Sklenar.
Création et univers sonore : Emmanuel Nappey.
Costumes : Elise Vuitel, assistée de Cécile Revaz.
Habilleuse : Marie Jeanrenaud.
Maquillages, perruques et masques : Véronique Soulier-Nguyen.
Accessoires et effets spéciaux : Laurent Boulanger, assisté de Yvan Schlatter et Noëlle Choquard.
Production et production déléguée :
TKM Théâtre Kléber-Méleau, Renens.
Durée : 1 h 30.

Du 9 au 18 avril 2019.
Mardi, vendredi à 20 h 30, mercredi, jeudi, samedi à 19 h 30.
Théâtre 71, Malakoff (92), 01 55 48 91 00.
>> theatre71.com

Tourné 2019
23 et 24 avril 2019 : L'Olivier, Istres (13).
30 avril au 17 mai 2019 : Théâtre de Carouge-Atelier de Genève, Genève (Suisse).
22 au 25 mai 2019 : TnBA, Bordeaux (33).

Jean Grapin
Lundi 15 Avril 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024