La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2021

•Off 2021• Ce soir, je n'aurai pas sommeil Un bain d'iode, frais comme une thalasso de l'âme et du cœur

Ils sont trois personnages. Sans nom. Deux femmes et un homme. Comme vous ou comme moi. Ils sont quelque part. On sait qu'il y a la mer. L'air de la mer, le vent, omniprésent, rafraîchissant, et c'est un bonheur dans cet Avignon sec et aride que cet air frais marin sur ces corps prêts à la sensualité. D'ailleurs, sous leurs habits colorés comme une fête, les maillots de bain sont revêtus. Ils sont dans une ville balnéaire, cela ne fait aucun doute et cela n'a aucune importance. Bien que…



© Séverin Albert.
© Séverin Albert.
Ces trois personnages vont nous emmener durant une heure dans un monde particulier. Un monde qui a pourtant l'exacte apparence de la normalité. Mais quand on regarde bien, de près, avec l'œil du rire, du cœur et du scepticisme, dans cette normalité, on voit la folie des hommes exploser à nos yeux. Une folie douce, n'ayez pas peur, la folie des actes, des désirs, des amours, des audaces.

C'est l'audace qui a servi de guide à cette création. L'audace, l'impertinence et la liberté de transgresser les règles éclatent dans le livre de jeunesse d'Irène Némirovsky (publié récemment aux Éditions Mouch). Un livre dont s'empare Sabrina Bus pour proposer la création de ce spectacle merveilleusement atypique à la metteure en scène Anne Carrard. Ensemble, metteure en scène et interprètes travaillent au plateau sur ces axes thématiques durant des mois pour aboutir à ce spectacle, loin du texte d'origine, mais développant la même innocence, le même ébahissement devant les attitudes, les gestes, les relations humaines faites de désirs mais aussi d'incompréhension.

Le résultat est extraordinaire, car à force de vouloir éviter les pièges du convenu théâtre dialogué, "Ce soir, je n'aurai pas sommeil" réussit à inventer une forme scénique de langage qui fait parfois penser à Tati, parfois à Éric Rohmer, parfois à la vision drôle et nostalgique que le clown a sur le monde.

Ce sont trois faux clowns qui nous emportent dans leur vie quotidienne d'une villégiature incertaine quelque part en bord de mer où les désirs, les attentes et les excroissances de la vie quotidienne vibrionnent comme nuées de moustiques.

© Séverin Albert.
© Séverin Albert.
Un beau travail sur le rythme, l'écoute entre les interprètes, la vivacité des scènes, soutenus par une présence sonore qui est comme le quatrième personnage de ce spectacle. Semant des ambiances, des musiques, des chansons (magnifique interprétation des "Filles du bord de mer" par Arno), le son remplit le rôle que la parole, ici presque accessoire, délaisse. Une très belle création de Yann Richard.

La belle âme révoltée et sans fard d'Irène Némirovsky serait sans aucun doute fière d'avoir inspiré ce bel espace de liberté et de joie cruelle qu'est "Ce soir, je n'aurai pas sommeil". On en sort rempli d'images cocasses, fortes, espiègles et toutes baignée d'un sucre qui adoucit l'acidité vitale de chaque scène.

Avignon tente avec gentillesse de nous habituer depuis des années au réchauffement climatique. À 14 h 30 en particulier, il fait chaud. C'est l'heure de prendre une bouffée de frais. Je sais où il est ce bon air. À la Chapelle des Italiens. Allez-y les yeux ouverts.

"Ce soir, je n'aurai pas sommeil"

Création collective.
Mise en scène : Anne Carrard.
Avec : Sabrina Bus, Benjamin Candotti-Besson et Loreleï Daize.
Scénographie : Clémence Kazémi.
Costumes : Sophie Carteron.
Création Sonore : Yann Richard.
Création Lumières : Denis Schlepp.
Graphisme : Anne-Laure Bernard.
Administratrice : Talia Barkan.
Durée : 1 h 05.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 28 juillet 2021.
Tous les jours à 14 h 30, relâche les 11, 15, 16 et 22 juillet.
La Chapelle des Italiens, 33, rue Paul Saïn, Avignon.
Réservations : 09 52 42 66 72.
>> Réservation

Bruno Fougniès
Lundi 21 Juin 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter











À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024