La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"The Rape of Lucretia"... Une méditation chrétienne sur le sens du sacrifice

L’Athénée reprend une mise en scène de Stephen Taylor (de 2007) du "Viol de Lucrèce", l’opéra de Benjamin Britten, avec une distribution renouvelée. C’est l’occasion de retrouver les brillants solistes de l’Atelier Lyrique accompagnés de l’ensemble Le Balcon jusqu’au 19 janvier 2014.



© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
Miracle du chant et de l’opéra. Que se passe-t-il en nous quand soudain un chanteur (ici une chanteuse : la superbe Lucretia du mezzo soprano polonais Agata Schmidt) nous émeut jusqu’aux larmes par son interprétation ? D’autres beaux moments transcendent la partition d’un opéra assez difficile où on passe volontiers, en des états divers, de l’ennui au complet bouleversement.

L’argument est bien connu : le viol de Lucrèce raconté par Tite-Live dans son "Histoire romaine". Cet événement fondateur pour l’avènement de la république romaine est au centre de la pièce d’André Obey en 1931. Celle-ci est le point de départ du livret de Ronald Duncan. Ce sera le premier "opéra de chambre" de Benjamin Britten qui deviendra le plus grand compositeur anglais du XXe siècle (presque malgré lui : en tant qu’homosexuel, il est un criminel alors au regard de la loi).

© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
Créé en 1946 sur fond de ruines de la seconde guerre mondiale pour la réouverture du Festival de Glyndebourne, l’opéra se signale par son épure tant par les moyens modestes qu’il nécessite (huit chanteurs, treize à quinze musiciens) que par son langage musical très personnel (et encore tonal). Après les charniers et autres horreurs perpétrées en Europe, l’austérité d’une musique au lyrisme sévère souvent contenu s’impose à Britten.

Une œuvre sans concession qui retrace en moins de deux heures, en une condensation dramatique remarquable (quand même), les circonstances de la profanation de l‘épouse fidèle de Collatinus par Sextus Tarquin. Une bête brutale et sensuelle qui va utiliser sa force et profiter de la solitude de Lucrèce. Depuis Shakespeare, on connaît l’issue de l’histoire : la chaste épouse violée se suicide. Le contexte historique de sa création par Britten en fait une allégorie pour tous les désastres : les guerres, les égoïsmes assassins, la domination éternelle de la force et la fragilité de l’amour vrai.

© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
L’originalité de cet opéra consiste surtout à proposer deux personnages chrétiens (et anachroniques au Ve siècle avant JC) comme chœurs : un rôle de soprano interprété lors de la première par une grande Andreea Soare et un ténor, le russe Oleksiy Palchykov, convaincant (mais son articulation de l’anglais est perfectible). Commentant et explicitant les actions et pensées des protagonistes, ils suggèrent la prééminence malgré tout de l’amour-charité sur l’amour-pulsions, d’Agapè (cette "philia" ou amour désintéressé des Anciens) sur un Éros mortifère.

Loin d’être un message lénifiant - comme il a été souvent dit - destiné à adoucir une histoire atroce, cette méditation chrétienne sur le sens du sacrifice de Lucretia est au cœur de l’œuvre. Dédicacée à son amant le ténor Peter Pears, créateur du rôle du chœur masculin, elle exprime aussi sans doute les plus profondes hantises du compositeur. Seul Agapè sauverait le monde et notre humanité.

© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
La mise en scène de Stephen Taylor rappelle les circonstances de la création de l’opéra. Ambiance RAF anglaise 1940 et vignettes façon "Blake et Mortimer" ne convainquent guère et nuisent à l’universalité du propos. Taylor veut-il signifier l’impuissance de la charité dans l’Histoire ? Peut-être. Heureusement les solistes de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris sont toujours excellents - et quelle chanteuse Agata Schmidt décidément ! L’ensemble Le Balcon en résidence à l’Athénée est de très bonne tenue grâce à son directeur Maxime Pascal. Une mention spéciale pour le pianiste Alphonse Cemin et la harpiste Clara Izambert qui ont, il est vrai, le beau rôle dans la partition.

Spectacle vu le 14 janvier 2014

Jeudi 16, vendredi 17, samedi 18 janvier 2014 à 20 h. Dimanche 19 janvier à 16 h.
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 01 53 05 19 19.
Square de l’Opéra Louis-Jouvet, Paris 9e.
>> athenee-theatre.com

© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
"Le Viol de Lucrèce"(1946).
Musique : Benjamin Britten.
Livret : Ronald Duncan.
En anglais surtitré en français.
Durée : 2 h 20 avec entracte.

Direction musicale : Maxime Pascal.
Mise en scène : Stephen Taylor.
Scénographie : Laurent Peduzzi.
Costumes : Nathalie Prats.
Lumières : Christian Pinaud.

Ensemble Le Balcon.
Les Solistes de l’Atelier Lyrique en alternance.

© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
Les 16 et 18 janvier :
Agata Schmidt, Lucretia.
Piotr Kumon, Tarquinius.
Andriy Gnatiuk, Collatinus.
Tiago Matos, Junius.
Cornelia Oncioiu, Bianca.
Armelle Khourdoïan, Lucia.
Oleksiy Pachykov, le chœur masculin.
Andreea Soare, le chœur féminin.

© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
© Opéra national de Paris/ Mirco Magliocca.
Les 17 et 19 janvier :
Aude Extrémo, Lucretia.
Vladimir Kapshuk, Tarquinius.
Pietro Di Bianco, Collatinus.
Damien Pass, Junius.
Cornelia Oncioiu, Bianca.
Olga Seliverstova, Lucia.
Kevin Amiel, le chœur masculin.
Élodie Hache, le chœur féminin.

Christine Ducq
Vendredi 17 Janvier 2014

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024