La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

François Bourcier, oriflamme dans le vent

Connaissez-vous François Bourcier ? Comédien génial et metteur en scène magistral, il n’a pas attendu Stéphane Hessel pour s’indigner et se servir de son art pour secouer les consciences et réveiller les valeurs humaines assoupies. Formé à la Rue Blanche puis au Conservatoire National, ancien de la Comédie Française, François Bourcier a réalisé une trentaine de mises en scène et il est professeur au Sudden Théâtre.



"Sacco et Vanzetti", Dau et Catella © Caroline Coste.
"Sacco et Vanzetti", Dau et Catella © Caroline Coste.
Stakhanoviste perfectionniste, il a présenté pas moins de sept mises en scène durant le dernier festival d’Avignon, dont trois spectacles dans lesquels il jouait ! Son travail force le respect et l’admiration. Homme accessible et attachant, artiste grandiose et exigeant, son talent n’a peut-être d’égal que son éthique. Coup de projecteur.

Ma première rencontre avec son travail se déroula au Théâtre du Chêne Noir pendant le Off 2009. Un coup de foudre comme il en existe peu, une claque monumentale qui m’avait laissé sonné, les yeux brillants : "Sacco et Vanzetti", une pièce écrite par Alain Guyard sur l’histoire des deux célèbres ouvriers américains anarchistes. Pour incarner ces deux êtres broyés injustement par un capitalisme en crise, Bourcier avait choisi de mettre en scène Dau et Catella, duo d’humoristes exquis et excellents comédiens, dont le talent méritait une meilleure reconnaissance du grand public. Une part du génie de Bourcier est sans doute de réussir des chef-d’œuvres en ne possédant pas le dixième du budget d’une création de l’Odéon…

Jacques Dau et Jean-Marc Catella © Caroline Coste.
Jacques Dau et Jean-Marc Catella © Caroline Coste.
La scénographie ici se résumait à six chaises et un grand drap blanc, accompagnés d’une création lumière particulièrement belle. Comme toujours, de l’économie de moyen, du goût, de la finesse, des lumières très travaillées, auxquelles s’ajoutent un texte fort et une interprétation parfaite : voilà l’exacte marque de fabrique du travail de François Bourcier. Que demander de mieux ? Dau et Catella trouvaient dans ce spectacle l’occasion rêvée de démontrer l’étendue de leur talent et Bourcier celle de servir encore une fois un thème qui lui est cher : l’anarchie. La vraie, l’intelligente…

Un peu plus tard, je suis tombé sur une affiche dans Paris annonçant une représentation unique de "Barricades" au Théâtre Mouffetard. Le parfait duo Bourcier/Guyard avait encore frappé très fort ! Tous les comédiens, qui forment une troupe homogène et excellente, sont issus des cours de Bourcier au Sudden Théâtre et ont créé leur compagnie à l’occasion de ce spectacle. Voilà maintenant trois ans de suite qu’ils font salle comble au festival d’Avignon.

Alors que "Sacco et Vanzetti" traduisait l’incarcération dans une très grande tension, mais aussi un esthétisme et une densité dramatique très poussés, François Bourcier propose au contraire ici une mise en scène explosive et survitaminée pour ces "Barricades" libertaires qui nous transmettent un peu du souffle incroyable de mai 68. Comme il est beau et bon le théâtre qui s’engage à nourrir notre esprit et notre réflexion ! Comme il est revigorant ! Ce spectacle, tout comme ses personnages, sort du lot, de la "trajectoire" habituelle, il éclabousse, il déchire carcans et vêtements dans une tornade d’énergie et de révolte. C’est brillant, généreux, réjouissant, accessible et pas démagogique. Bref, c’est exactement du Bourcier.

À ce stade de l’article, vous me prenez peut-être pour un fou, ou tout au moins vous pensez que j’abuse légèrement dans l’éloge. Venez et voyez ! François Bourcier est un phénomène particulièrement connu du festival Off d’Avignon où il attire les foules. Et au diable les euphémismes ! Pour une fois qu’un artiste combine son génie, son éthique et sa réelle humanité, il mérite ô combien cette humble mise en lumière dans nos colonnes. Et ce n’est pas fini.

"La Délation sous l’occupation", François Bourcier © Caroline Coste.
"La Délation sous l’occupation", François Bourcier © Caroline Coste.
En effet, si je l’avais admiré à deux reprises comme metteur en scène, je n’avais pas encore vu le François Bourcier acteur. Et je suis resté bouche bée. Son diptyque "Lettres de délation" et "Résister c’est exister" fait partie des quelques triomphes écrasants du festival d’Avignon, partant dans de grandes tournées entre chaque été. Et pour la troisième année consécutive, il refusait encore du monde tous les jours.

Le premier opus est tiré du livre d’André Halimi, "La Délation sous l’occupation", et il en signe la mise en scène aux côtés de Renato Ribeiro et Isabelle Starkier. Il s’entoure également des prestigieuses voix off de Catherine Allégret, Jean-Claude Dreyfus et Francis Lalanne. Après le succès de ce spectacle sur la collaboration et la bassesse humaine, Bourcier en crée le pendant positif, "Résister c’est exister", mettant cette fois en scène la résistance et les héros du quotidien. La pièce est écrite par Alain Guyard à partir de témoignages authentiques, et les voix off sont celles d’Éveline Buyle, Daniel Mesguich et Stéphane Freiss. La mise en scène, cette fois, est signée Isabelle Starkier uniquement.

"Résister c'est exister", François Bourcier © Caroline Coste.
"Résister c'est exister", François Bourcier © Caroline Coste.
Ces deux "seul en scène", déjà disponibles en DVD, sont de réels chefs-d’œuvre. Le genre de spectacles dont la perfection vous éclate au visage pour mieux se graver dans votre mémoire. La presse ne s’y trompe pas, les adjectifs tombent en cascade. Comment vous décrire la force de ces spectacles, l’émotion qu’ils procurent, la façon qu’ils ont de vous saisir à la gorge et d’emplir tout votre être ? À combien de spectacles vous êtes-vous déjà levé avec la salle entière dès le premier salut pour applaudir frénétiquement tandis que les larmes roulent encore sur vos joues ?

Le comédien offre une performance époustouflante, incarnant magistralement plusieurs dizaines de personnages dans une construction dramaturgique sans défaut. Ces spectacles sont une leçon de théâtre, d’interprétation, d’intelligence. Ils atteignent un cap qui semble parfois si loin, celui de l’adéquation parfaite entre le fond et la forme, et entre les talents qui composent le spectacle vivant : texte bouleversant, interprétation éblouissante, mise en scène grandiose, scénographie ingénieuse, lumières splendides, musiques galvanisantes, changements de costumes impressionnants. Tout. Tout est parfait.

Je me tais. Comme doit se taire un critique devant un modèle trop réussi pour pouvoir lui rendre justice convenablement. Mais n’oubliez pas le nom de François Bourcier, car il fait partie des grands du théâtre d’aujourd’hui.

Mickaël Duplessis
Jeudi 25 Août 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024