La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Une farce tragique matérialiste des drames des hommes et leurs métaphysiques

"Les Souffrances de Job", Théâtre Sorano, Toulouse

"C’était autrefois, il y a cinq minutes", Job de puissant devient misérable. Ruiné, foudroyé, ce personnage de la bible n’a plus que la peau qui le démange. Job est une souffrance telle qu’elle appelle l’idée de Dieu. C’est ce sujet délicat que Hanokh Levin dans la pièce "Les Souffrances de Job" traite avec les truculences et cruautés d’une sensibilité moderne aux prises avec le néant et maniant le sarcasme.



"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
C’est ainsi que Job en a plein le dos. Bien trop occupé à se gratter, il ne dialogue pas avec Dieu lui-même. Par l’infinité de sa souffrance Job apportant même la preuve de l’inexistence de Dieu. Les protagonistes, ces amis, ces puissants fascinés par le spectacle se dispensent eux de toute action fraternelle, le martyrisent, lui imposent leur manière inhumaine de penser et lui font désirer sa fin. C’est ainsi que Job cédant au désir de retrouver la paix auprès de son père et par cet instant d’insensibilité lorsque la vie cède et que la mort n’est pas encore avérée qu’est apportée leur preuve. Celle de l’esprit qui s’échappe et rejoindrait… Dieu.

Au public d’accompagner cette fable ironique et de résoudre le problème. Devant la présentation scénique de Laurent Brethome et sa tribu de comédiens, il est entrainé dans une aventure théâtrale et applaudit sans réserve au style.

"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
Le dispositif par le jeu des lumières, ses noirs, ses blancs, ses clairs obscurs, affirme avec puissance et dépouillement sa théâtralité. Les comédiens par leurs corps mis à nu, leur plastique offrent une très belle cohésion d’ensemble et d’individuation. Ils trouvent en eux le ressort vital et de la scène et du texte et mettent les cœurs à nu. Les comédiens donnent du sens sans ostentation et accompagnent les convulsions du texte.

L’histoire de Job ainsi vue prend l’allure nihiliste d’un cirque forain, d’une foire aux hypocrisies et aux tortures, et tourne en farce tragique implacablement matérialiste les drames des hommes et leurs métaphysiques.

Le jeu fait sonner les subtilités de la pièce en déplaçant la question. S’il existe la possibilité d’une spiritualité, elle est celle qui découle de la représentation. De ce théâtre qui se vit comme mise en œuvre de la force de la parole, de la Beauté de l’Art. Faisant entendre par la qualité du travail comme la présence d’une âme. Celle de l’humour qui de manière ultime souffle sur le plateau.

La tension dramatique conduit à cette évidence que c’est ici et maintenant que se joue la nécessité de l’amour. En l’espèce celui d’un public vu comme le microcosme d’une humanité rendue sensible.
CQFD.

"Les Souffrances de Job"

"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
Texte : Hanokh Levin.
Mise en scène : Laurent Brethome.
Prix du public du meilleur spectacle 2010 du festival Impatience.
Texte français : Jacqueline Carnaud & Laurence Sendrowicz.
Dramaturgie : Daniel Hanivel.
Scénographie & costumes : Steen Halbro.
Lumière : David Debrinay.
Musique : Sébastien Jaudon.
Paysage sonore : Antoine Herniotte.
Décorateur : Gabriel Burnod.
Avec : Fabien Albanese, Lise Chevalier, Antoine Herniotte, Pauline Huruguen, François Jaulin, Denis Lejeune, Geoffroy Pouchot-Rouge-Blanc, Anne Rauturier, Yaacov Salah, Philippe Sire.
Durée : 1 h 40.

"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
"Les Souffrances de Job" © Beaupréau.
Spectacle du 19 au 28 janvier 2012.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Odéon - Ateliers Berthier, Paris 17e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.fr

Du 2 au 4 février 2012.
Jeudi, vendredi et samedi à 20 h.
Théâtre Sorano, Toulouse, 05 81 91 79 19.
>> sorano-julesjulien.toulouse.fr

Jean Grapin
Mercredi 25 Janvier 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024