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Festivals

La 16e édition du Festival de cirque d'Alba-la-Romaine défie la morosité budgétaire de la culture avec une très riche programmation

Du 9 au 14 juillet, dans le village, dans les sous-bois, sous chapiteaux de toile ou d'étoiles, La Cascade ("Cas~cade" Pôle National Cirque-Ardèche) conviait familles et solitaires à partager six jours de festivités autour du cirque, de la bonne humeur et du chant des cigales. Une dizaine de propositions quotidiennes, payantes ou gratuites, animent la ville du matin jusqu'à tard dans la nuit avec une diversité de disciplines circassiennes allant de l'art du clown, au trapéziste, acrobates, funambules… la liste est trop longue.



"Kontact" © Julie Cherki.
"Kontact" © Julie Cherki.
Nous avons pu assister à la programmation des deux premières soirées : "Kontact" par la Cie Puéril Péril, "Strano" proposé par le Cirque Trottola, "No(s) Façades" des Compagnies Les Josianes & Cirque et Compagnie, enfin "Fidji" de la Compagnie La Dépliante.

Aucun agrès pour les acrobates de la Compagnie Puéril Péril qui s'apprêtent à montrer "Kontact" au public installé en tri-frontal. C'est sur un simple carré de tapis de gymnase que les six acrobates vont évoluer. Aucun agrès, car ils n'en ont pas besoin, ce sont leurs corps qui leur servent à voltiger, réaliser des équilibres impressionnants, des portés athlétiques, des empilements doublés de renversements, doublés de saltos avant et arrière. Tous les appuis sont les pieds, les mains, les ventres, les têtes, les dos des autres. Et toutes les réceptions.

Les corps sont ici exploités totalement. À l'envers ou à l'endroit, projetés d'un partenaire à l'autre ou recueillis dans les bras comme on fait avec un enfant qu'on jette en l'air, les figures, les jeux, les bondissements et les équilibres se succèdent à un rythme vif et s'enchaînent pour nous raconter une histoire qui rapproche le public des artistes.

"Strano" © Franchon Bilbille.
"Strano" © Franchon Bilbille.
C'est une voix off qui, au départ, ouvre le show, puis ce sont les acrobates eux-mêmes qui vont chercher le moyen de faire rentrer les spectateurs dans leur histoire. Comment ? Grâce à une idée ingénieuse qui force immédiatement l'empathie : chercher ce qu'il y a de commun entre chacun d'eux et le public. Chaque caractère est ainsi passé en revue avec une petite dizaine de goûts de préférence. Celui-ci aime le chocolat… que ceux qui aiment le chocolat lèvent la main… par exemple.

Un jeu qui peut paraître puéril, mais auquel le public du festival répond avec empressement. Et qui n'est pas si futile que cela, au contraire : n'est-il pas question ici de remettre le lien entre les gens dans l'ordre de ce qu'il doit être, c'est-à-dire partager ce qui est en commun plutôt que de stimuler nos différences, nos incommunicabilités ?

Tout le travail de création du spectacle est, lui aussi, tourné vers cette idée. Les portés sont autant d'embrassades, les réceptions des mises à l'abri, les équilibres à deux, trois voire plus disent clairement l'importance de celui qui supporte et de la chaîne humaine qui ne tient que par la cohésion et l'attention portée à l'autre.

Et dans ce spectacle, nul sexisme, nul déterminisme, car encore une fois, rien n'oblige au départ : femmes ou hommes, quelles que soient leurs physiologies, portent, sont portés, volent, s'envolent et sont accueillis.

Avec "Strano", le Cirque Trattola signe sa cinquième création en vingt ans. Les créations de cette compagnie portée par Titoune et Bonaventure Gacon sont toutes si personnelles et originales qu'elles tournent le plus souvent quatre ou cinq ans. Aucun doute que Strano suivra la même trajectoire.

Imaginez un chapiteau presque normal, mis à part des rideaux du sas d'entrée faits de tôles tordues en guise de tissu, mis à part des clowns en habits de combat, usés par la bataille, un peu mités, sentant la poudre et la terre des tranchées, mis à part une fanfare qui n'existe pas, mais à sa place un orgue monumental comme on en voit à l'étage de certaines cathédrales et ses dizaines de tuyaux d'orgues, à se croire projeté ailleurs que dans un cirque.

Pourtant, les références sont nombreuses, nez rouges, clowns qui déboulent enroulés autour d'une grosse caisse dans laquelle il finit par tomber et y rester un temps coincé, et duo de clowns, l'un sérieux comme un clown blanc, l'autre maladroit et blagueur comme un auguste, des facéties burlesques qui laissent très vite place à une histoire tout à la fois beaucoup plus sombre et parlante et beaucoup plus poétique.

"Strano" © Franchon Bilbille.
"Strano" © Franchon Bilbille.
L'un, Bonaventure Gacon, dans un personnage qui évolue avec lui de spectacle en spectacle, s'impose comme narrateur, est soldat d'une guerre sans nom, d'une guerre sans ordre, d'une guerre qui s'avérera inutile. L'autre, personnage de Titoune au nez si pointu qu'elle ressemble à une marionnette en bois, est muet. Toutes ses expressions passent par le corps et ses mimiques drôles et sensibles. Elle est "la" naïve. Elle est aussi celle qui sera au trapèze, en voltige, lorsque les rumeurs de la guerre se tairont et que la vie reprendra ses droits. Son compagnon, lui aussi, ne se contente pas du sol pour évoluer puisqu'il va traverser l'espace sous chapiteau avec les pieds pas à pas, soutenus par des tiges de fer accrochées l'une après l'autre à l'armature du chapiteau.

Le troisième circassien tient un rôle plus modeste jusqu'au final aérien qui emporte les trois interprètes dans une voltige tournoyante à couper le souffle, tandis qu'à l'orgue, Barbara Cornet, omniprésente et comme un contrepoint musical qui donne une dimension onirique à cette histoire, propulse de ses deux mains sur les deux claviers et de ses deux pieds sur sa série de pédales, une palette profonde de musiques qui vont de Bach à César Franck, en passant par des compositions originales de Samuel Legal. Une présence forte et envoûtante.

Tout le spectacle est ainsi fait de contrastes : entre clowns et soldats à la dérive dans des guerres sans siècles et sans fin, musiques sacrées au lieu de fanfares musclées, et une histoire qui tient autant du théâtre que du cirque. Des contrastes qui créent une forte impression et distillent une ambiance prenante.

"No(s) Façades" © Bruno Fougnies.
"No(s) Façades" © Bruno Fougnies.
"No(s) Façades" est dans un tout autre registre. Plus lumineux, joyeux, fantaisiste. Un spectacle qui réunit deux compagnies : Les Josianes, compagnie circassienne qui mêle chorégraphie et chant à leur discipline phare, et Cirque la Compagnie, une troupe de circassiens qui pratique entre autres la bascule et le mât chinois.
Ils sont nombreux sur scène à recréer, dans un décor lumineux, le quartier d'une ville du sud qui fait penser aux villes napolitaines, son linge qui sèche d'une fenêtre à l'autre, ses apostrophes d'un immeuble à l'autre, cette vie foisonnante qui habite les gens du quartier.

Grimper ou descendre des façades d'immeuble qui culminent à deux niveaux, se rattraper sur les épaules et s'élever au mât chinois dressé comme un mât de cocagne au milieu de la place, bondir de tables en tables sur la terrasse du café ou s'envoler grâce à la bascule pour pénétrer en douce dans les étages, les portés, les équilibres et les voltiges rythment cette journée de quartier où la bonne humeur, le rire et les échanges sont constants. À noter un très joli numéro de corps à corps et d'acrobatie avec des chaises.

Mais à cela s'ajoutent, presque dans le style d'une comédie musicale, des chorégraphies et des chansons qui contribuent encore plus à la gaîté de l'ensemble.

"Fidji" tranche franchement avec les autres productions. Difficile d'en faire un compte-rendu sans dévoiler le spectacle et sa teneur. Car, finalement, qu'importe cette teneur, c'est surtout ici le talent d'Antoine Nicaud qui porte à lui seul l'ensemble.

Les talents, doit-on dire, puisqu'à ceux d'acrobate et de sangles aériennes, Antoine Nicaud ajoute celui d'auteur et celui de comédien. On peut presque dire showman tant ce qu'il fait de sa personnalité pour créer son personnage et nous entraîner dans une narration de folie provoque aussitôt une empathie totale.

Le sous-titre de son spectacle, Racontars Acrobatiques, rend parfaitement compte de sa performance. Racontars dans la bouche de Starsky, son personnage bavard, prolixe, hâbleur et philosophe de la rue qui déboule dans le décor de square du plateau pour raconter sa vie, ses pensées, ses inventions, ses vérités et rayonner de drôlerie, de fatalisme et de la sensibilité pudique des humbles, blessés, mais jamais plaintifs.

Pour ne rien dévoiler, "Fidji" est le nom du chat, un chat particulier, épique et fantastique. Et c'est un vrai plaisir de tenter de démêler le vrai du faux de ce que Starsky raconte entre deux séances de sangles aériennes.
◙ Bruno Fougniès

"Fidji" © Mat Santa Cruz.
"Fidji" © Mat Santa Cruz.
16e édition du Festival d'Alba-la-Romaine
S'est déroulé du 9 au 14 juillet 2025.

Avec des spectacles qui ont eu lieu de 10 h du matin jusqu'au soir.
Payants ou gratuits.
Ateliers de découvertes de trapèzes, stands divers répartis un peu partout dans le village et la campagne environnant le point de rassemblement où il était possible de se restaurer, s'hydrater et assister aux concerts de la nuit : le Carbunica.
Quelques événements du 11 au 14 juillet :
"Collapsing Land" par La Tournoyante, "Obaké" par le Collectif Maison Courbe, "Un dîner pour 1" par Le P'tit Cirk, "Balles au centre" par le Théâtre Bascule, "Les Établissements Félix Tampon dans votre festival !" par Alain Reynaud Les Nouveaux Nez & Cie…

>> lefestivaldalba.org

"No(s) Façades" © Bruno Fougnies.
"No(s) Façades" © Bruno Fougnies.
"Kontact"
De et avec : Réhane Arabi, Marion Hergas, Marilou Verschelden, Ronan Duée, Dorian Lechaux, Xavier Mermod, Patricia Minder Rachel Salzman & Barbara Lartigau.
Mise en scène : Dorian Lechaux.
Composition musicale : Maler.
Arrangements & interprétation des musiques des numéros : Maler et Heeka.
Voix off : Guillaume Orsat.
Création costumes : Maïté Chantrel.
Création lumière : Sébastien Marc.

"Strano"
Création : Titoune & Bonaventure Gacon.
En piste : Titoune, Bonaventure Gacon et Pierre Le Gouallec ou Sébastien Brun.
Musiciens : Samuel Legal ou Barbara Cornet.
Régie générale : Bonaventure Gacon.
Régie son et lumière : Baptiste Heintz ou Yannis Gilbert.
Costumes : Nadia Genez.
Compositions musicales : Samuel Legal, Jean-Sébastien Bach, César Franck, Mauricio Kagel et Charles-Marie Widor.
Conseillers techniques, artistiques et acrobatiques : Filléas de Block, François Derobert, Caroline Frachet, Dimitri Jourde, Éric Minette, Michaël Pallandre, Martin Prieto, Clément Rousseaux, Nicolas Picot et Claire Villard.
Construction chapiteau : Atelier Gest et Ortona.

"No(s) Façades"
Avec : Maria Del Mar Reyes, Hugo Ragetly, Julia Spiesser, Betty Mansion, Nicolas Provot, Boris Fodella, Una Bennett et Charlie Mach.
Regard extérieur : Sophia Perez.
Technique : Baptiste Couderc et Nicolas Provot.
Construction : Baptiste Couderc et Guillaume Bales.
Scénographie : Julie Duverneuil.
Écriture : Una Bennett, Betty Mansion, Nicolas Provot, Julia Spiesser et Charlie Mach.

"Fidji"
De et avec : Antoine Nicaud.
Regards extérieurs : Jatta Borg, Marek Kastelnik, Dominique Bettenfeld et Stéphane Dutournier.

Bruno Fougniès
Vendredi 18 Juillet 2025

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