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Lyrique

La poésie charmante de "Lakmé" à l’Opéra Comique

Si vous voulez "cueillir des lotus bleus" et redécouvrir certains des airs français les plus charmants, précipitez-vous à l’Opéra Comique qui présente en ce moment "Lakmé" (opéra de Léo Delibes) dans une mise en scène de Lilo Baur "et avec Sabine Devieilhe dans le rôle-titre.



© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Musique charmante disais-je ? Assurément. Certains des airs (comme ceux de "La Chauve-souris" de Johann Strauss fils) sont les hits de nos arrière-grand-mères qui les chantaient à nos aïeuls au coucher ou aux repas de famille. Tradition qui se perpétua parfois pour notre génération. "Lakmé" est un des opéras français les plus joués au monde, ouvrage d’un compositeur modeste et qui assuma bien sa fonction de pourvoyeur des agréments sous la Troisième République. L’Opéra Comique en fit la création en 1883 pour les beaux yeux d’une soprano américaine Marie Van Zandt et le distribue régulièrement. La dernière fois, c’était en 1995 avec notre star bien aimée Nathalie Dessay.

L’argument ? Une improbable histoire d’amour condamnée (of course) entre Lakmé, une jeune indienne fille de brahmane consacrée aux dieux, et un fringant militaire anglais Gerald, au XIXe siècle dans les Indes victoriennes. Époque oblige : le père brahmane en question, du haut de son autorité incontestée, va tout tenter pour occire le jeune impétrant. Entre opéra sérieux et opéra comique, l’œuvre ne choisit pas tout à fait et certains critiques critiquèrent ce mélange des tons à sa création, cette "satura" entre lyrisme et bouffe : l’extase amoureuse des amants, la colère du père trahi côtoyant le burlesque des caractères féminins anglais du livret.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Cependant, la poésie du livret (un peu vieillot quand même) et la beauté indéniable de la mélodie ne manquent pas, non plus qu’une très riche orchestration tissée de motifs (pseudo) orientalistes pour l’époque. Rien n’a été oublié par Léo Delibes pour assurer la réussite de son opéra : des airs fatals (comme la fameuse barcarolle "Viens Mallika" alias "Duo des Fleurs" inoubliable ou "Ô Fantaisie aux ailes d’or"), et même un ballet de danseuses indiennes au deuxième acte pour parachever cette peinture d’un Orient fantasmé et délectable.

Rôle écrasant pour un soprano léger, on nous avait promis une Lakmé digne des souvenirs d’incarnations les plus marquantes. La jeune chanteuse Sabine Devieilhe n’est pas tout à fait la nouvelle Mady Mesplé ou (plus près de nous) Nathalie Dessay, contrairement à ce qu’on a pu lire (presque) partout. Et ce, malgré des moyens réels dans les aigus et une capacité acrobatique plus qu’estimable pour les roulades et autres vocalises. Que lui manque-t-il ? Pas l’émotion. Mais quid de la sensualité ? Quid du caractère trempé d’une Dessay brillante (et ses facilités vocales entrées dans la légende) ? Arrêtons de la comparer à ce bel oiseau de paradis qu’est Sabine Devieilhe, qui a d’ailleurs suscité les acclamations d’un public conquis.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Le reste de la distribution est séduisant. Retenons Frédéric Antoun, le ténor qui nous vient du Québec, dans le rôle de Gerald. Ce jeune chanteur nous a ravis par sa fougue et la rondeur de son timbre. Le baryton-basse Paul Gay dans le rôle du père de Lakmé est un beau et imposant chanteur, capable de nous émouvoir aussi. Et n’oublions pas notre baryton préféré, Jean-Sébastien Bou, qui confirme tout le bien qu’on écrit sur lui depuis son Claude à l’Opéra de Lyon et son Mârouf dans ce même Opéra Comique l’an dernier. Le chef François-Xavier Roth n’a pas fait l’unanimité et son orchestre "Les Siècles" gagnera sans doute en justesse aux représentations suivantes. Le chœur Accentus a récolté à bon droit nos applaudissements.

Pour la mise en scène, on a connu Lilo Baur plus inspirée à l’Opéra de Dijon avec "Ariane et Barbe-Bleue", mais on peut saluer sa vision plutôt symboliste du troisième acte. Un acte lyrique où les amants malheureux scellent leurs amours pour l’éternité. L’œuvre trouve alors son accomplissement poétique avec cette lumière bleue qui nimbe une scène dominée par un arbre gigantesque au pied duquel s’épanouit leur duo. On pense au "Tristan" (dont "Lakmé" est l’exact contre-pied) et au futur "Pelléas et Mélisande" de Debussy, cet aboutissement de l’esprit français.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Mardi 14, jeudi 16, samedi 18 et lundi 20 janvier 2014 à 20 h.
Diffusion le 18 janvier 2014 sur France Musique.

Opéra Comique, Place Boieldieu, Paris 2e, 0825 01 01 23.
>> opera-comique.com

"Lakmé"
Opéra en trois actes.
Musique de Léo Delibes.
Livret de Edmond Gondinet, Philippe Gille.
Durée : 2 h 50 avec entracte.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Direction musicale : François-Xavier Roth.
Mise en scène : Lilo Baur.
Décors : Caroline Ginet.
Costumes : Hanna Sjödin.
Lumières : Gilles Gentner.
Chorégraphie : Olia Lydaki.
Chef de chœur : Christophe Grapperon.
Chœur Accentus.
Orchestre Les Siècles.

Sabine Devieilhe, Lakmé.
Frédéric Antoun, Gerald.
Élodie Méchain, Mallika.
Paul Gay, Nilakantha.
Jean-Sébastien Bou, Frédéric.
Antoine Normand, Hadji.
Mai Ishiwata, Olia Lydaki, Anna Dimitratou, danseuses.

Christine Ducq
Lundi 13 Janvier 2014

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