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Lyrique

À Dijon... Un Ring qui va faire grimper au Walhalla

"L’Anneau du Nibelung" de Richard Wagner et ses quatre journées données en deux jours, vous en rêviez ? L’Opéra de Dijon le fait du 5 au 15 octobre 2013 et à un prix pour les spectateurs défiant toute concurrence. Pas la peine de brandir la lance de Wotan, tous les publics sont conviés grâce à une production condensée de la fameuse tétralogie.



© Opéra de Dijon.
© Opéra de Dijon.
Mais attention ! Condensation du maître ouvrage du prophète de Bayreuth (douze heures plutôt que quinze, en deux soirées) ne rime pas avec bradage de l’ambition artistique de ce génial "festival scénique". Wagnerolâtres (dont je suis), calmez-vous. Les coupes effectuées dramatisent une narration (proverbialement très ample, trop soupireront les ennemis du Kapellmeister de Dresde) sans renoncer aux épisodes majeurs, ni supprimer aucun personnage.

C’est en tout cas ce que nous assure le bouillant jeune directeur de l’Opéra de Dijon, Laurent Joyeux, bien parti pour faire de sa maison une des plus créatives en notre belle nation. Et son travail en cinq ans à la tête de cette respectable institution - qu’il a su réveiller par des projets passionnants - n’incline pas à douter de sa parole. Porté depuis des années, ce projet un peu fou lui tient à cœur (musicien, il connaît tous les détours de cette admirable partition) et il a su entraîner dans son sillage des équipes technique et artistique de la plus belle eau.

© Opéra de Dijon.
© Opéra de Dijon.
Sur le plateau, des chanteurs issus de la jeune garde wagnérienne déjà remarqués sur des scènes non négligeables. Le ténor Daniel Brenna, un Siegfried qui "monte" et qui n’a pas peur des gageures - comme chanter deux opéras en une soirée. La soprano Sabine Hogrefe, Brünnhilde remarquée à Bayreuth (et très applaudie à Dijon pour son Isolde en 2011). Et last but not least, le grand baryton lyrique Thomas Bauer pour une prise de rôle : celui de Wotan.

Un baryton lyrique et non héroïque ? J’en vois déjà qui rehaussent le sourcil. Ben oui coco, les poitrineurs à cornes de viking qui hurlent en peau de bête dans Wagner, c’est passé de mode. Le chant-lied (1), divinement imposé par la nouvelle génération menée par Jonas Kaufmann, s’imposera dans cette production, mise en scène par… Laurent Joyeux himself. Pour lui, il s’agit de livrer une version poétique et lyrique (donc politique) de l’œuvre, où les voix seront mises en valeur et accompagnées (et non écrasées) par un orchestre narrateur (2) partiellement recouvert dans la fosse (comme le voulait Wagner). Pour la cause, le chef Daniel Kawka dirigera une phalange d’une centaine de musiciens spécialement créée pour l‘événement, le Richard Wagner European Orchestra.

© Opéra de Dijon.
© Opéra de Dijon.
Deux autres raisons de venir à Dijon ? Le compositeur Brice Pauset, en résidence à l’Opéra jusqu’en 2015, a non seulement supervisé cette version plus ramassée du massif wagnérien mais a aussi composé deux préludes qui seront donnés au début de chaque soirée en un continuum éclairant avec le chef d’œuvre mythique. Et puis une exposition organisée dans le très beau vaisseau design de l’Auditorium nous invitera à découvrir une femme exceptionnelle, Friedelind, la petite-fille de Richard Wagner. Contrairement à sa mère (3), Friedelind, exilée aux USA en 1938, à la tête de Bayreuth après la guerre, n’a cessé de militer pour laver l’œuvre wagnérienne de l’ignominie nazie. C’est tout le propos de Laurent Joyeux et son équipe que de rendre à la tétralogie de Wagner ses vraies valeurs et son message : le rôle crucial de l’amour pour une belle sortie de la minorité pour l’humanité (comme dirait Kant).

(1) Le chant-lied en terre wagnérienne, c’est un chant expressif qui privilégie les nuances de la mélodie, le phrasé et la diction plutôt que la puissance.
(2) Le mot est de Laurent Joyeux. Pour découvrir les vidéos des coulisses des répétitions, voir le site de l’opéra.
(3) Winifred, l’épouse du fils de Wagner (Siegfried) connue pour sa sympathie de la première heure pour Hitler et les nazis. Lire le témoignage de Friedelind Wagner paru en 1944 : "Nuit sur Bayreuth".

© Opéra de Dijon.
© Opéra de Dijon.
"L’Anneau du Nibelung".
Du 5 au 15 octobre 2013.
Samedi 5 à 16 h : "L’Or du Rhin" et "La Walkyrie".
Dimanche 6 à 16 h : "Siegfried" et "Le Crépuscule des Dieux".
Mercredi 9 à 18 h 30 : "L’Or du Rhin" et "La Walkyrie".
Samedi 12 à 16 h : "L’Or du Rhin" et "La Walkyrie".
Dimanche 13 à 16 h : "Siegfried" et "Le Crépuscule des Dieux".
Mardi 15 à 18 h : "Siegfried" et "Le Crépuscule des Dieux".

Opéra de Dijon, 03 80 48 82 82.
11, boulevard de Verdun Dijon (21).
>> opera-dijon.fr

"Der Ring des Nibelungen", Richard Wagner, Brice Pauset.
Richard Wagner European Orchestra.
Daniel Kawka, direction.
Chœur de l’Opéra de Dijon - Maîtrise de Dijon.
Laurent Joyeux, mise en scène.
Stephen Sazio, assistant à la mise en scène, dramaturgie.
Damien Caille-Perret, scénographie.
Claudia Jenatsch, costumes.
Joël Hourbeigt, lumières.

Sabine Hogrefe, Brünnhilde.
Daniel Brenna, Siegfried.
Thomas Bauer, Wotan.
Josefine Weber, Sieglinde, Gutrune, 3e Norne.
Andrew Rees, Siegmund.
Manuela Bress, Fricka, Waltraute, Schwertleite, 2e Norne.
Katja Starke, Erda, 1ère Norne.
Andrew Zimmerman, Loge.
Florian Simson, Mime.
Nicholas Folwell, Alberich, Gunther.
Christian Hübner, Fafner, Hunding, Hagen.
Hanne Roos, Woglinde, Ortlinde, Helmwige, Freia.
Anna Wall, Flosshilde, Siegrune, Grimgerde.
Cathy van Roy, Wellgunde, Gerhilde, Rossweise.

Christine Ducq
Mercredi 2 Octobre 2013

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023