La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Gelsomina" Quand le film culte s'invite au théâtre avec une majestueuse simplicité

Enfant naïve, Gelsomina a été vendue par sa mère à un Hercule de foire brutal, Zampano. Ensemble, ils sillonnent les routes d'Italie, de village en village, menant la vie âpre des forains. Zampano ne cesse de rudoyer Gelsomina. Elle éprouve cependant un certain attachement pour lui. Avec l'arrivée d'un autre saltimbanque, Il Matto, le "fou funambule", l'épopée va brusquement virer dans le drame.



© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
Pari osé que celui-ci : adapter au théâtre "La Strada", le film culte de Federico Fellini ! Mais, depuis de nombreuses années, rien n'arrête Pierrette Dupoyet, auteure traduite et jouée dans le monde entier, comédienne au talent immensément reconnu et qui en a fait l'adaptation. "Je portais ce personnage de Gelsomina en moi depuis longtemps et, à un moment de ma vie, le coucher sur papier est devenu une évidence", Pierrette Dupoyet.

Grand bien lui en a pris, elle qui s'intéresse à des thèmes forts et des personnages qui ne laissent personne indifférent. Encore fallait-il trouver la comédienne qui puisse interpréter le rôle de Gelsomina. Et, comme une évidence, là aussi, Nina Karacosta s'est imposée alors que pourtant, plusieurs comédiennes se sont frottées à l'interprétation de cette enfant naïve et abandonnée par sa fratrie.

"Avec Nina Karacosta, on effleure quelque chose de mystérieux, plus intense que d'autres comédiennes ayant interprété le rôle, comme si la pureté du personnage lui conférait une force intérieure permettant de tout braver", précise Pierrette Dupoyet.

© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
Ce propos de l'auteur devient une tangible réalité dès les premières secondes de la pièce, alors que la comédienne apparaît sur le plateau, vêtue d'un informe manteau gris, pieds nus et que son regard intense nous transporte immédiatement très loin de la Folie Théâtre. Comme un coup de baguette magique ! Quelque chose d'indéfinissable opère, qui ne lâchera pas le public durant toute la représentation.

Est-ce son accent grec si charmant, semblable à un onguent suave qui vient se coller à notre peau et envahir notre âme ? Ses gestes et son jeu si minutieusement interprétés qui convoquent avec grande justesse la naïveté de l'héroïne en particulier, mais également des autres personnages interprétés comme Zampano ou encore la religieuse du monastère ? Ou toute autre chose qui relève tout simplement du talent ?

Nous étions dubitative à l'idée d'assister à une adaptation de ce film culte du cinéma italien réalisé en 1954 par le maître Fellini, film qui emporte, comme peu d'autres, notre adhésion sans faille. Cela dit, il s'agit là d'une libre adaptation par Pierrette Dupoyet et rien ne présageait que l'ambiance de ce 4ᵉ film du réalisateur serait totalement retranscrite.

Et pourtant. Tout semble y être ! Sublimé, qui plus est, par le talent hautement poétique de l'écriture, surtout lorsqu'il s'agit des mots de Gelsomina, l'héroïne toute en immense humanité et sensibilité. Pierrette Dupoyet sait saisir, à nulle autre pareille, la corde sensible de ses personnages et les explorer jusqu'au tréfonds de leur âme.

"Un jour, moi aussi, je serai rouquine et je rirai avec une bouche pleine de rouge à lèvres."
"Le fou funambule faisait claquer ses souliers pour s'entendre être beau. Il voulait vivre aussi, mais ne connaissait pas le mode d'emploi."
"Les mots, ça va souvent là où on ne veut pas qu'ils aillent."


Nous pourrions multiplier les illustrations qui font, encore une fois, la part belle au talent sans faille de l'auteure de la pièce et à sa magistrale interprétation par la comédienne.

Toute l'humanité débordante de l'héroïne de "La Strada" est convoquée dans cette profonde et si sensible adaptation théâtrale qui, à certains égards, n'est pas sans nous rappeler que, de nos jours, des dizaines et des dizaines de jeunes, ou de moins jeunes Gelsomina, arpentent les routes d'Italie ou d'autres pays au péril de leur vie, exilés, abandonnés, mais vivants, tant bien que mal.

© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
"Lui et moi, on avait compris qu'on marchait sur le même fil."

À la Folie Théâtre, le public, lui aussi, marche sur le fil d'une grande poésie : celui tendu avec brio par la collaboration majestueuse de Pierrette Dupoyet, Nina Karacosta et du grand Fellini.

L'évocation de l'amour entre Gelsomina et le fou funambule, sous la plume magistrale de Pierrette Dupoyet, réunit à elle seule tous les plus beaux poèmes jamais écrits à ce sujet...

"Gelsomina"

© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
Texte : Pierrette Dupoyet.
Librement adapté du film "La Strada" de Federico Fellini.
Mise en scène : Driss Touati.
Avec : Nina Karacosta.
Création lumières : Xavier Duthu.
Chorégraphie : Claire Gérald.
Assistants musique (trompette) : Ignacio Ferrera, Michel Barré.
Costume : Pascaline Suty.

Du 7 janvier au 5 mai 2024.
Dimanche à 19 h.
La Folie Théâtre, Paris 11e, 01 43 55 14 80.
>> folietheatre.com

Brigitte Corrigou
Vendredi 26 Janvier 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024