La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Macbeth (the notes)" Quand l'acteur est l'instrument du poète

Voilà cinq ans, David Ayala et Dan Jemmett, fins connaisseurs de Shakespeare, créaient "Macbeth (the notes)", spectacle conçu comme une réduction de cette pièce infernale et insensée qui, de l'aveu même de l'auteur, se révélant à cet égard plein d'humour et d'orgueil, n'est qu'"un récit plein de bruit et de fureur raconté par un idiot, qu'à un moment, on n'entend plus et qui ne signifie rien". Ce seul en scène d'Ayala est infiniment drôle captivant et… instructif. Sa reprise au Lucernaire - qui fête ses cinquante ans - est à ne pas rater.



© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
Dans "Macbeth (the notes)" est montré au public cet instant d'avant la présentation et qui appartient à la partie la plus cachée de la répétition. Ce bref instant des commentaires et des corrections, qui voit le metteur en scène, seul face à sa troupe (invisible), lire les notes prises (ces brèves de séance), passer en revue le cas de chacun, flatter et enguirlander, et encourager, se montrer enjoué, renvoyer en miroir les défauts constatés et contre-jouer le jeu pour mieux se faire comprendre, contrefaire toutes les feintes du métier, ses roueries, pour mieux les déjouer…

… Du vidéaste choyé aux régisseurs qui foirent les lumières et les accessoires, les comédiens et comédiennes qui faiblissent ou surjouent, à qui il faut rappeler sans cesse la vigilance de tous les instants, la concentration constante, la conscience de l'effet produit.

En bref, dans ce bref qui s'éternise, le metteur en scène déroule un collier de perles, de caricatures, d'anecdotes, de références savantes ou populaires aux irisations multiples, autant d'histoires individualisées pour faire comprendre et concrétiser ce théâtre de "la distorsion" dont il est le théoricien. Et qui miraculeusement, ironiquement, comme aux dépens, s'accomplit au temps même de sa mise à l'épreuve et dont le spectateur surprend le travail.

David Ayala s'approprie l'espace vide de la scène et s'offre une échappée avec toute sa saveur d'humour et son goût de liberté. N'affirme-t-il pas fièrement que, si "le sage montre la Lune… le chemin qui conduit à la Lune appartient à l'acteur".

Dans ce "seul" en scène, David Ayala est tous les rôles, toutes les inflexions, toutes les situations, toutes les truculences, toutes les émotions. Ce spectacle plein d'humour et de folie envoie des clins d'œils à chacun.

L'érudit y retrouve ses petits (1), tout comme l'amateur de festival de théâtre contemporain (2) et, avant tout, le simple spectateur (3).

© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
Sous ses yeux, le metteur en scène est conduit au bord du vertige, franchit les bornes de l'histrion qu'il honnit portant, atteint celles de l'hallucination. Il devient Macbeth en quelques monologues impressionnants. Comme un condensé de théâtre dans le cercle, le surgissement de l'effroi. Le spectre de Macbeth toujours parasitant la conscience de tous les personnages.

Pour le spectateur, la parenthèse du titre "Macbeth (the notes)" prend pleinement sur scène valeur d'incise : elle est bien cette sortie du temps du récit, cette précision qui conforte l'ensemble, ce point particulier comme un gros plan, ce temps d'arrêt, cette partie pour le tout dont la représentation n'est que la dilatation.

"Macbeth (the notes)" réalise cet instant prodigieux de l'acteur, du comédien qui (seul visible sur scène) s'accorde au poète dans ce point de bascule joyeux et insensé. Ce point de grotesque et de sublime qui est le cœur du théâtre.

Dans ce spectacle qui mêle le bruit et la fureur, porté par la joie, il n'est qu'une voix entendue, celle du Poète dont l'acteur n'est que l'instrument.

La lyre d'Orphée était constituée d'une carapace de tortue. Dans "Macbeth (the notes)", David Ayala est une tortue qui est Falstaff qui est Macbeth.

C'est magnifique.

(1) Pour en citer quelques-uns : Peter Brook, Jan Kott, Denis Diderot mais pas que, etc…
(2) Avignon… mais pas que…
(3) Habitué aux talk-shows et blockbusters.

"Macbeth (the notes)"

D'après : William Shakespeare.
Traduction : Jean-Michel Déprats.
Écriture et adaptation : Dan Jemmett et David Ayala.
Mise en scène : Dan Jemmett.
Avec : David Ayala.
Collaboration artistique : Juliette Mouchonnat et Thierry Ganivenq.
Régie générale : Serge Oddos.
Production : Antisthène et Cie Les Petites Heures (F. Biessy).
Durée : 1 h 25.

Du 28 août au 13 octobre 2019.
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 16 h.
Théâtre Lucernaire, Théâtre Rouge, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Jean Grapin
Lundi 2 Septembre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024