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Coin de l’œil

Young Adult : l’éternelle jeunesse est un naufrage

Il y a pire que refuser de vieillir : ne pas arriver à grandir. Si, dans "Juno", Jason Reitman filmait une adolescente très mature, dans "Young Adult", au contraire, il s’intéresse aux fantasmes, mi-eau de rose, mi-bourbon sec, d’une adulte qui rêve d’avoir toujours de l’acné.



Charlize Theron et Patton Oswalt (second plan) © DR.
Charlize Theron et Patton Oswalt (second plan) © DR.
Grandir n’est pas forcément donné à tout le monde. Pour certains et pour certaines, qui veulent se persuader qu’on a tous les jours quinze ans, la chose paraît carrément hors de portée. C’est le cas pour Mavis Gary, auteure de romans pour adolescents - mais sans vampires - fraîchement divorcée et en pleine crise alcoolo-dépressive. Bien qu’ayant allègrement dépassé la trentaine, elle veut croire à toute force que la vie se déroule comme dans les histoires nunuches qu’elle imagine et que le monde appartient aux post-pubères intrépides.

Ainsi, lorsqu’elle apprend que Buddy Slade, qui fut son boyfriend au lycée, vient d’avoir une petite fille, elle décide de retourner à Mercury, le bled de son enfance, qu’elle avait pourtant fui à toutes jambes pour s’installer à Minneapolis. Son but : arracher l’ex-élu de son cœur à son mariage et à ses devoirs de jeune père. Car pour elle, ça crève les yeux, ils sont faits l’un pour l’autre et il n’attend que sa venue, le cœur battant et la lèvre humide…

Charlize Theron, Patrick Wilson et Elisabeth Reaser © DR.
Charlize Theron, Patrick Wilson et Elisabeth Reaser © DR.
Après l’adolescente 100 % hors normes mais 200 % responsable de "Juno" et le pré-quinquagénaire pris à son propre jeu cynique de "In the Air", Jason Reitman dresse ici le portrait d’une trentenaire un brin fracassée. Une magnifique proie à psy, dont la vie intime consiste à se mettre minable un soir sur deux et à se réveiller aux côtés d’un bellâtre dont elle a oublié le nom, et qui, du jour au lendemain, prend la ferme décision de devenir l’héroïne d’une romance à la noix.

Dans ce rôle ingrat, Charlize Theron explose une fois encore l’écran - sans la métamorphose physique de "Monster", toutefois -, composant un personnage à la fois hilarant et pathétique : une sorte de Bridget Jones trash et limite psychotique, lâchée dans le quotidien conventionnel de la middle-class du Minnesota, et montée en boucle comme le vieux tube des nineties qu’elle réécoute inlassablement sur la cassette-audio que lui avait offert Buddy.

Charlize Theron © DR.
Charlize Theron © DR.
À travers la confrontation de deux "idéaux", celui, complètement fantasmé et déconnecté de la réalité, d’une fauteuse de trouble social en plein déni, et celui, parfaitement terre-à-terre, d’une population qui n’aspire qu’à incarner la "normalité", Jason Reitman et sa scénariste Diablo Cody illustrent à merveille la schizophrénie d’une Amérique qui veut continuer à croire en ses rêves - tout est possible, il suffit de le vouloir - tout en s’obstinant dans le conservatisme - ne changeons rien.

En cela, "Young Adult" s’inscrit dans la plus pure tradition de ce cinéma indépendant américain qui, sous couvert de comédies de mœurs douces-amères aux personnages cocasses, en profite pour ausculter un pays tourmenté et rempli de contradictions. À l’heure où les prétendants à l’investiture républicaine font assaut de sermons apocalyptiques et où la loi sur la couverture santé obligatoire voulue par Obama est attaquée par rien moins que 26 états devant la Cour suprême, il ne fait aucun doute que Mavis Gary n’est pas la seule, aux États-Unis, à refuser de grandir.

Patrick Wilson © DR.
Patrick Wilson © DR.
● Young Adult
Réalisation : James Watkins.
Scénario : Diablo Cody.
Directeur de la photographie : Eric Steelberg.
Avec : Charlize Theron, Patton Oswalt, Patrick Wilson, Elizabeth Reaser, Colette Wolfe, Jill Eikenberry, Richard Bekins.
En salles depuis le 28 mars 2012.

Gérard Biard
Vendredi 6 Avril 2012

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023