La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Paroles & Musique

"West Side Story"… Une création devenue mythique

Dans une tournée internationale qui la mène, et ce, jusqu'au 31 décembre 2023 au théâtre du Châtelet, la célèbre comédie musicale "West Side Story" revient à ses premiers amours, à savoir les planches, avec une distribution remarquable où théâtre et chant sont accompagnés par le chef d'orchestre Grant Sturiale. La mise en scène de Lonny Price nous fait revivre New York dans les années cinquante et la rivalité entre les Jets et les Sharks avec en toile de fond une histoire d'amour entre Maria et Tony.



© Johan Persson.
© Johan Persson.
S'il y a bien une comédie musicale connue de toutes et de tous, au moins par le titre, par l'une de ses chansons, par un tableau, par un personnage ou pour avoir été vue une ou à de multiples reprises, c'est "West Side Story". Créée le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre de Broadway sur une musique de Leonard Bernstein (1918-1990) avec comme parolier Stephen Sondheim (1930-2021) et comme librettiste Arthur Laurents (1917-2011), l'adaptation cinématographique a été réalisée en 1961 par Robert Wise (1914-2005) et Jerome Robbins (1918-1998) qui a permis de donner à l'œuvre une notoriété autant internationale que transgénérationnelle.

Défi de mise en scène d'autant plus lourd à porter en 2023 sauf si la distribution est remarquable. Ce qu'elle est. Un orchestre de vingt musiciens, dirigé par le chef d'orchestre et compositeur Grant Sturiale, est situé dans la fosse, donnant ainsi à l'œuvre, un aspect "Opéra" que l'on retrouve dans les chants lyriques, même si la construction artistique en est tout autre.

© Johan Persson.
© Johan Persson.
La mise en scène de Lonny Price fait des décors un personnage, avec des changements à vue qui plonge la représentation dans une ambiance soit festive, soit intime, soit conflictuelle. Théâtre, danse et chants sont équitablement répartis. Chacun apporte sa propre respiration en proposant à chaque fois un nouveau cadre dramaturgique. Ainsi, la comédie musicale se construit sur différents tempos. Les chorégraphies de Julio Monge sont soit dans des ruptures de jeu, soit dans des ouvertures de scènes, soit dans les dénouements, faisant d'elles le ressort rythmique du spectacle. Elles sont menées avec des mouvements aussi bien élancés, fermes, souples que sensuels. Chacune donne une identité au protagoniste et au groupe avec parfois des moments de synchronisation entre les comédiens danseurs donnant une impression réussie de liberté, comme si la gestuelle était libre d'elle-même. Elles sont l'expression même des deux gangs rivaux de l'Upper West Side de New York, les Jets et les Sharks.

Les premiers sont nés aux USA et ont des origines polonaises quand les seconds sont des portoricains immigrés aux États-Unis et considérés comme des intrus indésirables. Des attitudes et certains propos aux relents racistes par, entre autres, le lieutenant Schrank (Stuart Dowling/Bret Tuomi) peignent aussi un pays aux relents racistes persistants encore aujourd'hui, du fait, entre autres, de sa création liée à une conquête coloniale exterminatrice des Indiens d'Amérique et de son rapport à l'esclavage des noirs qui a laissé de fortes traces dans son Histoire.

© Johan Persson.
© Johan Persson.
La scénographie d'Anna Louizos plante un décor dans une couleur marbrée avec de vieux immeubles marqués par le temps mais solides dans leurs fondations. Elle reste dans une tonalité des plus sobres avec deux immeubles, côtés cour et jardin, souvent en vis-à-vis, comme se regardant de biais, à l'image des deux bandes ennemies. C'est New York avec sa couleur brute, mate et ocre et ses escaliers extérieurs. L'appartement de Maria (Melanie Sierra) est central, sans vis-à-vis, face public, et semble être symboliquement le point de jonction des deux camps opposés. Comme aussi ce magasin de boissons tenu par Doc (Darren Matthias), lui aussi à la porte ouverte et au centre de la scène, alors que pour l'ensemble des autres immeubles, tout est fermé et sans vie. La mort rôde dans son obscurité quand la vie montre son intérieur avec ses discussions, ses engueulades et ses déclarations d'amour.

Tout est mêlé dans cette comédie musicale inspirée de "Roméo et Juliette" (1597), entre une histoire d'amour d'un membre des Jets, Tony (Jadon Webster) pour Maria, la sœur du leader des Sharks, Bernardo (Antony Sanchez). Toutes les composantes théâtrales, vocales et chorégraphiques sont présentes de façon bien répartie. Cet équilibre est apporté par une présence scénique de haute tenue où les comédiens danseurs campent des personnages maniant une approche corporelle très marquée autant dans leur posture que dans leurs déplacements.

© Johan Persson.
© Johan Persson.
Pour les premières, les corps sont bien ancrés au sol, la gestuelle laissant transparaître une force dans les mouvements, la posture symbolisant une identité dans un pré-carré scénique. Ainsi ceux-là sont un marqueur théâtral, chaque personnage s'illustrant scéniquement par son corps, sa voix et sa gestique. Le chant qui l'accompagne souvent devient le dénominateur commun d'un rapport à l'autre, amoureux quand il s'agit de Maria et Tony, ou collectif, voire grégaire, car lié à la bande, quand les danses sont de groupe.

La voix est le porte-drapeau de sentiments, d'émotions ou d'attachements, quand le corps est dans un rapport frontal à l'autre pour marquer son périmètre et sa frontière. Quand le premier se rattache à une personne, un groupe ou un quartier, le second en dessine sa délimitation. L'un inclut, quand l'autre exclut. Ce qui donne un mariage de toute beauté entre force et poésie, lyrisme et combat.

Le geste devient ainsi un visage à la Janus qui peut être autant de vies que de mort, comme celui de Tony, amoureux de Maria et tuant le frère de celle-ci, chef des Sharks. Les protagonistes peuvent se regrouper en trois thématiques, ceux de l'amour avec Maria et Tony, de la violence avec Bernardo et Riff (Taylor Harley) le chef des Jets, et de la modération avec Doc vis-à-vis de ce gang.

Dans cette comédie musicale qui mêle faits sociaux, rivalité et histoire d'amour, c'est tout un pan des relations humaines qui est décliné de façon très réussie grâce à sa riche distribution artistique qui fait toujours briller, plus de soixante-cinq ans après sa création, une œuvre devenue un mythe.

"West Side Story"

© Johan Persson.
© Johan Persson.
En anglais surtitré en français.
Metteur en scène : Lonny Price.
Chorégraphe : Julio Monge.
Superviseur musical et chef d'orchestre : Grant Sturiale.
Créatrice des décors : Anna Louizos.
Créateur des costumes : Alejo Vietti.
Créateur des lumières : Fabrice Kebour.
Designer sonore : Tom Marshall.
Assistant à la mise en scène : Matt Cowart.
Assistant à la chorégraphie : Dale Elston.
Assistante aux auditions de danse : Kyra Sorce.
Assistant aux décors : Craig Napoliello.
Directeurs de casting : Jason Styres, Richard Glover.
Producteur exécutif : Martin Flohr.
Durée : 2 h 40 avec entracte.

Du 20 octobre au 31 décembre 2023.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi et dimanche à 15 h et 20 h.
Théâtre du Châtelet, Grande Salle, Paris 1er, 01 40 28 28 40.
>> chatelet.com

Safidin Alouache
Vendredi 3 Novembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024