La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Une répétition des "Trois Sœurs" dirigée par Christian Benedetti… avant l'intégrale Tchekhov

La salle du Studio. Dans les gradins, épars, des affaires, habits, sacs, dispersés de bas en haut, sous et au-dessus des deux tables de montage qui prennent la place de deux banquettes. Les quatorze interprètes de la pièce sont, eux aussi, dispersés dans l'espace. Certains traversent le plateau. Portent une chaise ici. Un banc. Aident à la mise en place du décor de l'acte IV des "Trois Sœurs".



© DR.
© DR.
D'autres sont assis dans les gradins, lisant. D'autres sont en coulisses de fond de scène ou sur les dégagements latéraux. L'un met sa veste de militaire sur son pantalon de ville. On cherche un accessoire. Une fourchette. Des pages de manuscrit tournent à la recherche d'une réplique. Des mots s'échangent. Chuchotés ou lancés à la cantonade. Sur scène, à cour, un médecin militaire en costume est assis. Il lit le journal comme si lui seul avait commencé le jeu. Mais tous semblent avoir commencé quelque chose d'invisible dans un désordre consciencieux, une forme d'activité tenace qui agite chacun comme une nécessité de faire, comme pour ne pas se laisser aller à rêvasser ou penser autre-chose qu'à ce qui va se passer ici, d'ici quelques minutes, une nécessité d'actions courtes, concentration en actes.

Christian Benedetti, engoncé dans une veste et une redingote de soldat du tsar, bouge plus qu'aucun autre, du plateau aux gradins. Il questionne. Demande qu'on finisse d'installer les accessoires. Se demande si unetelle, untel sont bien là. Lance une boutade. Se plaint du tissu de son costume qui le pique. S'interroge sur les changements de décors qu'il faudra travailler. Entre les actes. Et entre les pièces puisqu'il va être question de jouer plusieurs pièces à la suite, avec seulement 30 minutes entre chacune. On lui répond. On le tranquillise. Ou on ne lui répond pas et la question reste en l'air. Posée dans l'espace comme un ballon d'hélium. À résoudre plus tard. À un autre moment. Pour l'instant, c'est l'heure de répéter l'acte 4 des "Trois Sœurs".

© DR.
© DR.
Cette petite fourmilière en miniature, où chacun s'affaire sans trop de bruit, va d'un coup se centrer. Quelques secondes encore après qu'Adrien Carbonne (régisseur) ait fini de s'élancer du plateau jusqu'à la régie pour régler les derniers éclairages, la lumière du début de l'acte apparaît, les six interprètes sont en place et la première scène commence, d'un coup. Vive. Rapide. Gestes, tenues, expressions, mouvements, temps de respiration donnent soudain vie à cette première scène. Les textes au rasoir, les déplacements inscrits dans le corps, reste à harmoniser l'ensemble. Ce sera l'action essentielle du metteur en scène Christian Benedetti durant tout le reste de la répétition qui suivra à la lettre ce qu'il recherche dans cette création de l'intégrale de Tchekhov : "mon parti pris c'est le sens et l'énergie du sens, c'est ça qui compte, tout le reste on s'en fout, le reste ça fait partie du décorum", martèle-t-il.

Une répétition qui donne un bel aperçu du travail déjà effectué depuis trois mois et de la puissance moderne que cette mise en scène cherche à rendre aux pièces de Tchekhov, à sa compréhension (un phrasé moderne que cette nouvelle traduction met en valeur). Tout se fera dans une simplicité apparente, simplicité dans le verbe, sobriété dans l'action, phrasés simples, enjeux clairs, de manière à faire sonner non seulement le sens des textes mais à donner vie aux personnages. À ce sujet, Benedetti demande à ses interprètes d'incarner des rôles et pas de créer des personnages. "On doit avoir un dialogue constant entre le rôle et nous. Et la détresse amoureuse. Ce sont des rôles, des fonctions", indique-t-il encore au cours d'une scène. Des rôles. Des principes actifs qui demandent l'empreinte de la personnalité de chacun des interprètes. Créations qui seront fatalement uniques, personnelles, originales.

Dans ce but, Christian Benedetti a réuni autour de lui une troupe de dix-sept comédiennes et comédiens de tous âges, aux personnalités fortes. Il lui faut bien autant d'interprètes pour réaliser son projet d'intégrale : les six grandes pièces de Tchekhov, plus neuf pièces en 1 acte. Un projet qu'il porte depuis dix ans, dont l'aboutissement a été plusieurs fois remis à cause des interdictions sanitaires. Et qui sera enfin visible à partir du 9 mars au Théâtre Studio d'Alfortville.

Mais pourquoi ce titre "Tchekhov 137 évanouissements" ? C'est qu'il y a, paraît-il, 137 évanouissements dans les pièces de Tchekhov. Et que "lorsque les combats sont durs et violents, que la censure étouffe, que la peur épuise, l'idée même de l'évanouissement soulage... L'évanouissement n'est pas une maladie. L'évanouissement est une arme de combat", Christian Benedetti.

Vu lors de la répétition du mercredi 16 février, de 14 h à 18 h - 23 jours avant la première des "Trois Sœurs", le 11 mars à 19 h 30.

"Tchekhov 137 évanouissements"

© DR.
© DR.
Une intégrale de Tchekhov.
Textes : Anton Pavlovitch Tchekhov.
Nouvelles traductions de Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Laurent Huon, Daria Sinichkina, Yuriy Zavalnyouk
Scénographie et mise en scène : Christian Benedetti.
Assistants à la mise en scène : Brigitte Barilley - Alex Mesnil.
Avec : Brigitte Barilley, Leslie Bouchet, Olivia Brunaux, Stéphane Caillard, Vanessa Fonte, Marilyne Fontaine, Hélène Stadnicki, Martine Vandeville...
Christian Benedetti, Julien Bouanich, Baudouin Cristoveanu, Philippe Crubézy, Daniel Delabesse, Alain Dumas, Marc Lamigeon, Alex Mesnil, Jean Pierre Moulin...
Lumières : Dominique Fortin.
Son : Jérémie Stevenin.
Costumes : Hélène Kritikos.
Régie générale : Jérémie Stevenin, Adrien Carbonne.
Construction : Jérémie Stévenin et les apprentis de L'ÉA du Campus de Gennevilliers.
Photos et vidéos : Alex Mesnil.
Site internet : Zoé Chausiaux et Céleste Guichot.
Collaboration artistique : Genica Baczynski, Laurent Klajnbaum, Alex Jordan.
Les visuels de "Tchekhov 137 évanouissements" ont été créés par l'atelier Nous Travaillons Ensemble.
Production : Théâtre-Studio.
Durée de chaque pièce : 1 h 30.
À partir de 12 ans.

Compagnie Christian Benedetti, 2022 © DR.
Compagnie Christian Benedetti, 2022 © DR.
Du 9 mars au 24 avril 2022.
"Ivanov", "La Mouette", "Oncle Vania", "Trois Sœurs", "La Cerisaie".
À partir du 11 mai s'ajouteront "Les Pièces en un Acte" (au nombre de neuf), puis "Sans Père" à partir du 18 mai.

Un objectif ultime et un peu fou reste encore à réaliser : jouer l'intégrale en une seule journée.
Mercredi à 20 h 30 : "Ivanov".
Jeudi 19 h 30 : "La Mouette" et 21 h 30 : "Oncle Vania".
Vendredi 19 h 30 : "Trois Sœurs" et 21 h 45 : "La Cerisaie".
Samedi 16 h : "Ivanov" ; 18 h : "La Mouette" et 20 h : "Oncle Vania" (possibilité de voir 1, 2 ou 3 pièces, fin à 21 h 25).
Dimanche 15 h 30 : "Trois Sœurs" et 17 h 45 : "La Cerisaie" (possibilité de voir 1 ou 2 pièces, fin à 19 h 20).

Théâtre Studio d'Alfortville, Alfortville (94), 01 43 76 86 56.
>> theatre-studio.com

Bruno Fougniès
Lundi 7 Mars 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023