Une grande pièce en bois clair, vide et impersonnelle. Une mère et son fils se disputent. Il y est question de repas, de salade et de pommes de terre. La salade finit par valser sur le parquet. Le duo a le sang chaud et la verve, méditerranéenne. À leurs cris s'ajoutent le bruit des bombes et la voix monocorde et détachée de Nelly, la fille aînée – narcoleptique, apprendrons-nous plus tard – qui ne cesse de répéter toujours la même phrase : "Dimanche prochain, on monte à Berdawné" et dont l'idée fixe consiste à vouloir se rendre dans cette bourgade manger du knefé. Son entourage ne s'en étonne guère et abonde calmement dans le sens de la malade.
Dans cette atmosphère étrange, la voisine Souhaila vient offrir son aide à grand renfort de marmites. Car une noce se prépare, celle de la somnolente Nelly, et les invités sont attendus. Alors que l'autre fils, Walter, s'éternise chez le coiffeur et que le père, Néyif, est parti à la boucherie chercher le gigot, Nazha (la mère), Neel (le fils) et la voisine s'affairent à préparer le repas de noces. Les deux ménagères papotent avec entrain sous le bruit des bombes. La boucherie ayant été bombardée, le père revient avec un mouton vivant qu'il va falloir tuer sur place.
Insolite, mi-tragique, mi-comique, la pièce oscille entre l'absurde et le burlesque, Ionesco et Almodovar. Le summum est atteint lorsque nous découvrons que la noce ne comprend pas de fiancé. Mais, malgré l'absence de fiancé – une broutille qui ne manquera pas de se résoudre au dernier moment, semble penser la famille –, malgré l'orage, les obus, les coupures d'électricité menaçant la cuisson du gigot et les balles des francs-tireurs qui obligent à ramper sous les fenêtres, les préparatifs vont bon train, dans une atmosphère volubile.
Dans cette atmosphère étrange, la voisine Souhaila vient offrir son aide à grand renfort de marmites. Car une noce se prépare, celle de la somnolente Nelly, et les invités sont attendus. Alors que l'autre fils, Walter, s'éternise chez le coiffeur et que le père, Néyif, est parti à la boucherie chercher le gigot, Nazha (la mère), Neel (le fils) et la voisine s'affairent à préparer le repas de noces. Les deux ménagères papotent avec entrain sous le bruit des bombes. La boucherie ayant été bombardée, le père revient avec un mouton vivant qu'il va falloir tuer sur place.
Insolite, mi-tragique, mi-comique, la pièce oscille entre l'absurde et le burlesque, Ionesco et Almodovar. Le summum est atteint lorsque nous découvrons que la noce ne comprend pas de fiancé. Mais, malgré l'absence de fiancé – une broutille qui ne manquera pas de se résoudre au dernier moment, semble penser la famille –, malgré l'orage, les obus, les coupures d'électricité menaçant la cuisson du gigot et les balles des francs-tireurs qui obligent à ramper sous les fenêtres, les préparatifs vont bon train, dans une atmosphère volubile.
Puis, changement de décor, et un paysage enneigé nous propulse au Québec, des années plus tard, alors que retentit la chanson de Starmania "Le monde est stone". Jean, un jeune écrivain en herbe, téléphone à son père de Montréal et, dans une émouvante mise en abyme, le double de l'auteur reprend le récit en cours…
Cette pièce de jeunesse, écrite en 1991, la deuxième après "Willy Protagoras enfermé dans les toilettes", contient déjà l'essence des thématiques développées par Wajdi Mouawad dans ses pièces ultérieures : la famille, déployée amplement dans son cycle domestique – "Seuls" (2008), "Sœurs" (2014) et "Mère" (2021) –, et la guerre civile libanaise, présente dans la majorité de ses pièces, à commencer par celles du "Sang des promesses" – "Littoral" (1997), "Incendies" (2003), "Forêts" (2006) et "Ciels" (2009) –, pour se terminer en apothéose avec "Racine carrée du verbe être" (2022) où l'auteur joue plus que jamais avec maestria de l'enchevêtrement des lieux et des temporalités.
Car, comme chacun sait, Wajdi Mouawad, né au Liban en 1968, a dû fuir la guerre civile libanaise (1975-1990) à l'âge de huit ans, et émigrer avec sa famille en France, puis au Québec, et la guerre, avec la blessure générée par son déracinement, imprègne une grande partie de son œuvre. Concernant l'histoire du Liban et les différents événements survenus dans ces trois dernières décennies, l'auteur déclare : "(…) nous sommes les jouets du destin, mais nous portons en nous, à travers notre expression artistique, la responsabilité de la mémoire".
Cette pièce de jeunesse, écrite en 1991, la deuxième après "Willy Protagoras enfermé dans les toilettes", contient déjà l'essence des thématiques développées par Wajdi Mouawad dans ses pièces ultérieures : la famille, déployée amplement dans son cycle domestique – "Seuls" (2008), "Sœurs" (2014) et "Mère" (2021) –, et la guerre civile libanaise, présente dans la majorité de ses pièces, à commencer par celles du "Sang des promesses" – "Littoral" (1997), "Incendies" (2003), "Forêts" (2006) et "Ciels" (2009) –, pour se terminer en apothéose avec "Racine carrée du verbe être" (2022) où l'auteur joue plus que jamais avec maestria de l'enchevêtrement des lieux et des temporalités.
Car, comme chacun sait, Wajdi Mouawad, né au Liban en 1968, a dû fuir la guerre civile libanaise (1975-1990) à l'âge de huit ans, et émigrer avec sa famille en France, puis au Québec, et la guerre, avec la blessure générée par son déracinement, imprègne une grande partie de son œuvre. Concernant l'histoire du Liban et les différents événements survenus dans ces trois dernières décennies, l'auteur déclare : "(…) nous sommes les jouets du destin, mais nous portons en nous, à travers notre expression artistique, la responsabilité de la mémoire".
Depuis sa création au début des années quatre-vingt-dix à sa publication en 2011, le texte de "Journée de noces chez les Cromagnons" a évolué au cours des ans et donné lieu à différentes versions. Aujourd'hui, Wajdi Mouawad l'a de nouveau remanié, y ajoutant notamment le personnage de Jean, son double écrivain. Il a aussi choisi de faire jouer la pièce en libanais, par des acteurs libanais, d'en confier la traduction à Odette Makhlouf, une des actrices de "Mère" – puisque lui-même n'écrit plus dans sa langue maternelle –, et d'en assurer, pour la première fois, la mise en scène.
La pièce embrasse de nombreux registres, avec de savoureux personnages, hauts en couleur et totalement décalés. "Je contemple l'horreur avec amusement", "La guerre est si belle", profère Nelly qui raconte des horreurs avec pureté et poésie. Car il y a aussi beaucoup de pureté et de poésie dans ce spectacle. D'abord, à travers la très jolie scénographie d'Emmanuel Clolus, la neige qui tombe, les projections vidéo de paysages enneigés et les chaudes lumières de Laurent Matignon, ou encore ce grand tissu blanc tour à tour drap de lit, nappe de banquet ou linceul. Nelly, la belle endormie que "seul un étranger saura réveiller", semble, quant à elle, tout droit sortie de "Underground", le film d'Emir Kusturica.
En jupon blanc ou en robe de mariée, coiffée d'un voile transparent, cette belle au bois dormant hors du temps, traverse l'espace tel un fantôme qui planerait au-dessus des tragédies du monde, insufflant charme et légèreté au récit. Les moments de chant sont également de pures merveilles. Saluons, pour finir, l'éblouissante distribution qui porte ce spectacle : Aïda Sabra (la mère), Fadi Abi Samra (le père), Bernadette Houdeib (la voisine), Aly Harkous (le fils), Layal Ghossain (Nelly) et Jean Destrem (l'écrivain). À voir !
◙ Isabelle Fauvel
La pièce embrasse de nombreux registres, avec de savoureux personnages, hauts en couleur et totalement décalés. "Je contemple l'horreur avec amusement", "La guerre est si belle", profère Nelly qui raconte des horreurs avec pureté et poésie. Car il y a aussi beaucoup de pureté et de poésie dans ce spectacle. D'abord, à travers la très jolie scénographie d'Emmanuel Clolus, la neige qui tombe, les projections vidéo de paysages enneigés et les chaudes lumières de Laurent Matignon, ou encore ce grand tissu blanc tour à tour drap de lit, nappe de banquet ou linceul. Nelly, la belle endormie que "seul un étranger saura réveiller", semble, quant à elle, tout droit sortie de "Underground", le film d'Emir Kusturica.
En jupon blanc ou en robe de mariée, coiffée d'un voile transparent, cette belle au bois dormant hors du temps, traverse l'espace tel un fantôme qui planerait au-dessus des tragédies du monde, insufflant charme et légèreté au récit. Les moments de chant sont également de pures merveilles. Saluons, pour finir, l'éblouissante distribution qui porte ce spectacle : Aïda Sabra (la mère), Fadi Abi Samra (le père), Bernadette Houdeib (la voisine), Aly Harkous (le fils), Layal Ghossain (Nelly) et Jean Destrem (l'écrivain). À voir !
◙ Isabelle Fauvel
"Journée de noces chez les Cromagnons"
Spectacle en libanais surtitré en français.
Texte : Wajdi Mouawad.
Traduction en libanais : Odette Makhlouf.
Mise en scène : Wajdi Mouawad.
Assistant à la mise en scène : Cyril Anrep.Avec : Fadi Abi Samra, Jean Destrem, Layal Ghossain, Aly Harkous, Bernadette Houdeib, Aïda Sabra.
Dramaturgie et conception du surtitrage : Charlotte Farcet.
Scénographie : Emmanuel Clolus.
Musique originale : Nadim Mishlawi.
Lumières : Laurent Matignon.
Son : Annabelle Maillard.
Costumes : Isabelle Flosi.
Maquillage et coiffures : Cécile Kretschmar.
Vidéo : Stéphanie Jasmin.
Durée : 2 h.
Du 29 avril au 22 juin 2025.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30.
La Colline Théâtre National, Grand Théâtre, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr
Texte : Wajdi Mouawad.
Traduction en libanais : Odette Makhlouf.
Mise en scène : Wajdi Mouawad.
Assistant à la mise en scène : Cyril Anrep.Avec : Fadi Abi Samra, Jean Destrem, Layal Ghossain, Aly Harkous, Bernadette Houdeib, Aïda Sabra.
Dramaturgie et conception du surtitrage : Charlotte Farcet.
Scénographie : Emmanuel Clolus.
Musique originale : Nadim Mishlawi.
Lumières : Laurent Matignon.
Son : Annabelle Maillard.
Costumes : Isabelle Flosi.
Maquillage et coiffures : Cécile Kretschmar.
Vidéo : Stéphanie Jasmin.
Durée : 2 h.
Du 29 avril au 22 juin 2025.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30.
La Colline Théâtre National, Grand Théâtre, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
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