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Théâtre

Une plongée en névrose d'une famille française, entre comédie et drame social

"Une famille aimante mérite de faire un vrai repas", Le Lucernaire, Paris

Toutes les familles étouffent sous un secret de famille que chacun subodore et dont les effets sont dévastateurs… Ainsi la pièce de Julie Aminthe, intitulée "Une famille aimante mérite de faire un vrai repas", décrit la vie quotidienne chez les Lemorand. Et c'est gratiné. Égratigné.



© Théâtre de l'Homme.
© Théâtre de l'Homme.
C'est que depuis que la sœur ainée, au destin bien mystérieux, a quitté le nid familial et ne donne plus signe de vie, depuis qu'elle a eu un enfant… Tout est déréglé.

Le père applique les méthodes les plus pointues du management pour récurer et récurer la cuisine dont tous les miasmes sont évacués tout en délivrant au compte-gouttes des versions différentes de son chômage. Et de ses soins psy.

La mère dépossédée des tâches ménagères, de son rôle traditionnel, vire à l'alcoolisme qu'une méthode Coué du bonheur ne peut enrayer.

La sœur cadette envisage de tout arrêter au su des statistiques et des projections économiques et de préparer sa retraite éventuellement sous sa forme pharmaceutique et radicale.

Le benjamin s'explose la tête en écoutant du rap arabe et, en attendant la 7 G, explose la salle des traders dans un warrior-game des plus prenants.

© Théâtre de l'Homme.
© Théâtre de l'Homme.
La pièce se présentant comme une comédie, la plongée en névrose de cette famille est des plus divertissantes. Cependant, les traits sont à ce point contemporains que le spectateur se trouve aussi placé devant des tranches de vie de pleine actualité, quasi documentarisées. En donnant à voir par le petit bout de la lorgnette, le petit trou de serrure, la vie d'une famille française, l'auteure met le doigt là où ça fait mal dans la société.

Les difficultés à se représenter les évolutions, et à les intégrer, la perte de l'image de soi défini par le statut social et la valeur travail, le déni de la réalité et le repli sur un soi imaginaire, la lente dérive décliniste et pessimiste, l'absence de réactivité positive. La pièce, riche de la précision de ses observations, virerait au drame si les comédiens ne s'en donnaient à cœur joie. La mise à nu d'un monde d'adultes infantiles et d'adolescents en crise pris dans l'esprit de sérieux est criante de vérité.

Le spectateur se marre bien devant le miroir qui lui est tendu et apporte son rire complice. Il se trouve tout à fait heureux quand, à la toute fin, les enfants, presque devenus enfin orphelins de leurs parents perdus, ont un réflexe de survie en se mettant à rire du plaisir de la vie.

En espérant une suite qui serait celle d'une débrouille par les enfants eux-même. Comme un tour de France, un tour du monde, le ballot, le sac à dos à l'épaule, entrepris à la découverte des espaces de la création, du risque et de l'aventure. Le spectateur applaudit.

"Une famille aimante mérite de faire un vrai repas"

Texte : Julie Aminthe.
Mise en scène : Dimitri Klockenbring.
Avec : Jean Bechetoille, Olivier Faliez, Fanny Santer, Marie-Céline Tuvache.
Scénographie : Dimitri Klockenbring, en collaboration avec Alice De Sagazan.
Lumière : Xavier Lescat.
Son : Clement Roussillat.
Durée : 1 h.
Le Théâtre de l'Homme.

Du 13 mai au 28 juin 2015.
Du mardi au samedi à 19 h 30, dimanche à 15 h.
Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
Rencontre avec Julie Aminthe, auteure de la pièce, le 12 juin 2015 à l’issue de la représentation.
>> lucernaire.fr

Jean Grapin
Vendredi 5 Juin 2015

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

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15/09/2023