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Paroles & Musique

Un air de féminisme… en façon d'opérette !

"Eau Chaude à Tous les Étages", Auguste Théâtre, Paris

Ambiance années cinquante, plus précisément 1955, à la veille du XXIVe salon des Arts ménagers, à l'Hôtel Moderne… Là, quatre soubrettes aux caractères différents mais bien trempés, discutent, se chinoisent mais laissent vite échapper quelques intelligentes réflexions sur leur statut… Et pointent déjà des esquisses de revendications aux parfums d'indépendance et d'émancipation... Paradoxalement, l'époque s'y prête, et le questionnement s'en trouve justifié… Qui malheureusement reste encore d'actualité !



© Paul Montag.
© Paul Montag.
Ginette (Éléonore Sandron) est seule au piano, dans la salle à manger de l'hôtel, le patron est absent, et ses collègues sont parties en goguette. La première à rentrer est Henriette (Flore Fruchart), légèrement éméchée, guillerette, de retour d'une sympathique sortie en masculine compagnie. Peu après, les deux autres reviennent - Paulette (Agathe Trébucq) et Georgette (Morgane Billet). En attendant le lendemain qui verra l'établissement se remplir des visiteurs du salon, elles se remettent au travail… aux discussions, aux interrogations sur leur vie et s'amusent en chantant.

Gaies et virevoltantes comme des pinsons, entre deux "tirades" vocales et mélodiques, celles-ci conversent et se taquinent, les échanges fusent et les opinions se partagent sur leur statut tant professionnel qu'intime. Servantes, oui, mais pas idiotes. Le monde change et le "Deuxième sexe" est passé par là. On songe à l'émancipation, on rêve d'indépendance sans pour autant renoncer aux hommes... Chacune voudrait trouver son équilibre à sa manière et se demande ce que pourraient être des lendemains heureux quand on est une femme dans une France encore machiste. Des mots d'hier pour des sujets toujours actuels, le tout sans perdre une once de bonne humeur !

© Paul Montag.
© Paul Montag.
La liberté d'être seule, de choisir son ou ses amants, ou la captivité de la femme entretenue, incertitudes d'une autonomie à construire, naissances de rêves d'affranchissement… Choix, tant dans les chansons retenues que dans le texte d'Yves Coudray, d'une approche résolument féministe, de références à Simone de Beauvoir… "On ne naît pas femme, on le devient", "personne n'est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu'un homme inquiet pour sa virilité", "une femme libre est exactement le contraire d'une femme légère"…

Qu'est-ce qu'être femme entre l'après-guerre et mai 68, à une époque qui, sous prétexte du confort moderne, remet la femme au centre du foyer, esclave domestique et mère obligatoire, de la cuisine à la chambre des enfants, sans parler de la nécessité d'être un objet désirable (et tout à la fois décoratif !) pour son mari. De ces marqueurs historiques, le Quatuor Ariane conçoit, avec l'aide d'Yves Coudray au texte et à la mise en scène, une comédie musicale originale, joyeuse et sautillante, humoristique mais légèrement décapante et rebelle… et positivement audacieuse.

Dans cette histoire aux élans d'opérette, construite sur quelques airs féminins issus de "La Péricole", "Enlevez-moi", "Azor", "Dame en décolleté", "Phi-Phi", "L'amour masqué", "J'adore ça !", etc. (couplets d'auteurs comme Yvain, Christiné, Gabaroche ou Messager pour qui le monde ne pouvait tourner sans que les femmes y aient une part active), adaptés, actualisés et vivifiés, nos artistes réussissent à poser un état des lieux de la situation de la femme dans ces années de domination des hommes - aidés par les "arts ménagers" - pour mieux s'interroger sur la place de celle-ci aujourd'hui.

© Paul Montag.
© Paul Montag.
L'intelligence et la réussite de cette création enlevée et pétillante sont dues à l'origine même de la création (en 2013) du Quatuor Ariane par Morgane Billet, Flore Fruchart, Agathe Trébucq et Éléonore Sandron. En effet, elles décidèrent que leur démarche artistique s'articulerait selon cinq principes : travail d’un répertoire spécifique (opéra ou opérette) de plus en plus précis, innovation en réalisant des arrangements d’airs connus (adaptés à leurs voix et à un auditoire tant connaisseurs que néophytes), partage de ce répertoire avec tous les publics (et dans des lieux inhabituels voire insolites), approfondissement du travail théâtral et affirmation de leur posture d’artistes féminines.

"Eau Chaude à Tous les Étages" est en totale cohérence avec ces axes de travail, nous donnant à voir un spectacle complet (musique, chant, danse et théâtre), à entendre des airs d'opérettes ayant fait l'objet de réécriture musicale et d'harmonisation plus conforme à notre perception actuelle, leur donnant en plus une vivacité et une jeunesse inattendues, et à réfléchir en optant pour un regard sur la place de la femme dans la société des fifties pour s’interroger sur la place de celle du XXIe siècle.

Sans oublier bien sûr le talent et le charme espiègle de nos quatre interprètes qui conduisent ce spectacle avec une énergie et un enthousiasme communicatifs, rendant au final le public heureux et requinqué tout en l'ayant invité à réfléchir sur une problématique non résolue !

"Eau Chaude à Tous les Étages"

© Paul Montag.
© Paul Montag.
Par le Quatuor Ariane.
Texte : Yves Coudray.
Mise en scène : Yves Coudray.
Avec : Morgane Billet (soprano), Flore Fruchart (mezzo-soprano), Agathe Trébucq (soprano), Éléonore Sandron (pianiste).
Régie : Franck Rousseau.
Costumes : Marie Maréchal.
Graphismes : Hugues Couturier.
Durée : 1 h 15.

Du 20 avril au 28 mai 2019.
Samedi 20 et 27 avril à 19 h 30, lundi 22 et 29 avril à 21 h, vendredi 3 et mardi 28 mai à 21 h, dimanche 5 et samedi 18 mai à 16 h 30.
Auguste Théâtre, Paris 11e, 01 43 67 20 47.
>> augustetheatre.com

•Avignon Off 2019•
Du 5 au 27 juillet 2019.
Tous les jours à 12 h 45, relâche le lundi.
Théâtre Notre Dame, Salle Bleue,
13 à 17, rue du Collège d'Annecy, Avignon.
Réservation : 04 90 85 06 48.
>> theatrenotredame.com

Gil Chauveau
Mardi 7 Mai 2019

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023