La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Un Cyrano dépoussiéré, musical... Comme un rêve à la fois joyeux et grave

"Cyrano de Bergerac", Théâtre de l’Épée de Bois, Paris

Dans le "Cyrano de Bergerac" d’Edmond, le public rit, essuie une larme devant le destin de ce personnage dont la mère aurait crié à sa naissance "okilélè" et qui est présenté comme un des plus brillants esprits de son époque, bretteur et rêveur de lune tout à la fois. Il aima platoniquement et par procuration la plus belle des précieuses, Roxane.



© Mylène Guerriot.
© Mylène Guerriot.
En fusionnant avec brio le théâtre romantique et le roman historique, l’auteur, le 28 décembre 1897, fait d'Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac (auteur célèbre du XVIIe siècle), un personnage à part entière. Libéré de son modèle historique, Cyrano est un mythe français éminemment populaire.

La pièce fait se succéder sans pause une suite de tableaux de genre (la scène chez le traiteur Ragueneau, la scène du duel, la scène sous le balcon de la belle, la scène du camp militaire d’Arras, etc.). Elle est emportée par le verbe, par le souffle. Inaugurée par une mise en abyme de théâtre dans le théâtre qui permet à Cyrano (et à son interprète) de fustiger, ridiculiser avec l’appui du public le théâtre académique de son temps, elle culmine en sa scène finale par un des plus beaux monologues du répertoire. Mort et amour du héros enchâssés dans la solitude de l’aimée et la mélancolie de l’automne de la vie.

© Sylvain Bocquet Tri-angles.
© Sylvain Bocquet Tri-angles.
La version scénique d’Olivier Mellor ne faillit pas, bien au contraire. Et c’est sous les ovations d’un public ravi que vingt-trois comédiens et quatre musiciens saluent, font la révérence. L’effet de troupe emporte tout dans un tourbillon de plaisir.

L’action de ce Cyrano-là est situé dans un monde loufoque, excentrique, propre à la scène qui mélange la vie de plateau et de théâtre. Où il devient vraisemblable que des joueurs de rugby à treize en cadets désargentés, railleurs, roqueurs et rimailleurs, rêvent de capes, d’épées, de bombance et de belles paroles. Où les petits gars se cognent, se castagnent. Où les nobles et les duègnes sortent d’une scène glam rock. Où des roadies, des régisseurs de plateaux, en ombres bienveillantes, manient les portiques aux tubulures bien présentes et relient le jeu avec discrétion et efficacité. Sans avoir l’air d’y toucher, ils créent de la poésie.

© Mylène Guerriot.
© Mylène Guerriot.
La partie musicale semble égrener les scènes, les colorier. Les musiciens accompagnent, composent comme pour un concept album. Un peu d’électro-jazz, un chouïa de funk et de reggae, juste ce qu’il faut pour jouer, de manière très juste, avec l’émotion d’un chant traditionnel d’esclaves de la Réunion et se fondre dans les ténèbres chaudes d’un lied de Gustav Mahler.

Rythmée en un authentique musical, la pièce se décante progressivement et culmine en émotion dans une deuxième partie épurée, densifiée. Chacun, des seconds rôles et figurants, trouve sa place sous la houlette d’un hercule au cœur tendre, au nez pinocchiesque (Jean-Jacques Rouvière) qui fait rire les parents et les enfants, et leur fait écraser une larme.

Parce que la musique et les passes d’escrime sont irréprochables, parce que Cyrano est un hercule, que Roxane (Marie Béatrice Dardenne) est une jeune femme au tempérament moderne, parce que toute une troupe respecte et l’œuvre et le public, parce que l’œuvre est dépoussiérée avec tact, ce Cyrano est comme un rêve joyeux et grave : quel panache !

"Cyrano de Bergerac"

© Sylvain Bocquet Tri-angles.
© Sylvain Bocquet Tri-angles.
Texte : Edmond Rostand.
Mise en scène : Olivier Mellor.
Scénographie : Noémie Boggio et Alexandrine Rollin.
Avec : Jean-Jacques Rouvière, Marie-Béatrice Dardenne, Adrien Michaux, Stephen Szekely, Fred Egginton, Rémi Pous, Dominique Herbet, Vincent Tepernowski, Denis Verbecelte, François Decayeux, Marie Laure Boggio, Michel Fontaine, Mylène Guériot, Karine Dedeurwaerder, Jean-Christophe Binet, Olivier Mellor et Nicolas Auvray.
Lumière, régie générale : Benoît André.
Musique originale : Séverin Jeanniard.
Costumes, maquillages, coiffures : Hélène Falé.
Son : Christine Moreau.
Maître d'armes : Patrice Camboni.
Durée : 3 heures.

Du 6 novembre au 2 décembre 2012.
Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 18 h.
Théâtre de l’épée de bois, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

Jean Grapin
Jeudi 15 Novembre 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024