La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Trissotin…" Union du corps et de l'esprit par l'amour, le désir et l'humour

"Trissotin ou Les Femmes Savantes", Théâtre La Criée, Marseille

Reprise ! Pour Henriette et Armande, c'est l'heure de l'émancipation. Ces deux jeunes femmes ont reçu une très bonne éducation, s'expriment avec précision et même élégance, jouissent d'une évidente aisance matérielle au sein d'une famille solide et traditionnelle. La mère tient en effet la culotte en son ménage et le père est gentil quoique un peu faible…



© LoLL Willems.
© LoLL Willems.
Elles ont trouvé l'oiseau rare. Clitandre. Un jeune homme beau comme un comédien, certes un peu pauvre mais qui a la tête bien faite et de grandes espérances car il est poussé à la cour…

L'ainée a approfondi Descartes, le dualisme ainsi que les stoïciens, et conteste l'institution du mariage. La cadette à l'évidence, dans sa capacité à conjuguer plaisir et amour dans une perspective de mariage heureux, a compris Lucrèce et son "de natura rerum".

Leur mère Philaminte et leur tante Belise se sont piquées des dernières connaissances scientifiques logiques et poétiques. Leur apprentissage encore naïf pèse sur l'ordonnancement de la maison. Voulant être savantes pour se montrer savantes, elles se sont entichées d'un Tartuffe au petit pied, un Trissotin pédant et à la pointe de la mode qui en veut à leur richesse. L'histoire frise la catastrophe.

© LoLL Willems.
© LoLL Willems.
Écrite (et avec quel brio) par Molière, la pièce "Trissotin ou Les Femmes Savantes" démontre par la satire que la femme partage avec l'homme un même désir de pédanterie, de vanités et de capacités d'aveuglements. Elle souligne aussi par son ironie joyeuse que le droit à la connaissance est partagé entre les deux sexes et que, l'avenir de l'un sans l'autre étant bien sombre, il vaut mieux que l'un et l'autre s'acceptent mutuellement pour un optimisme de la vie.

Car tout cela n'est que comédie.

La mise en scène de Macha Makeïeff impose des conventions fortes tout en évitant le piège de tourner en ridicule. Elle s'appuie sur une dimension foldingue frapadingue parfaitement assumée. En décrivant minutieusement une bourgeoisie artiste immergée dans l'air du temps, frappée au coin de la mode rétro soixante-dix et des meubles vintages.

© LoLL Willems.
© LoLL Willems.
La mise en scène épouse le texte et ses personnages avec leurs alexandrins. Exploitant tous les effets de miroirs qui relient et opposent les personnages.

Les deux sœurs se font face et s'opposent en de quasi duels : l'une coquette, l'autre sage.

En vis-à-vis, le père Chrysale et son frère Ariste, déjà vieux ingénus qui veulent conserver l'apparence d'une jeunesse, jouent de leur complicité pour recoudre les liens familiaux et fomentent une farce la farce finale qui confondra le méchant.

Pour ce qui est de Bélise et Trissotin, personnages les plus excessifs, la metteure en scène joue sur les effets de travestissement.

Bélise est une vieille fille portée par un comédien dont la virilité de ténor ne peut être contestée et qui sait admirablement moduler toutes les gammes d'une féminité vouée, par ses excès de coquetteries érotisées, à la perdition dans des paradis imaginaires, romanesques et merveilleux. Le rôle est formidablement drôle.

Trissotin est conçu comme un Conchita Wurst muté en rêve de John Galliano, il est un personnage redoutablement inquiétant de sophistication. Plus intello, fat, germanopratin et esthète, on meurt.

Quant à la mère, digne héritière des Branquignols et des Saintes Chéries, elle glisse de crises de folie en crise d'autorité, frôlant la perte de sa distinction et de sa conscience dans une fantaisie et une liberté de gammes à donner le vertige.

En réponse, la servante Martine est une jeune femme à la colère d'aujourd'hui, franche et directe.

© LoLL Willems.
© LoLL Willems.
Le texte est joué avec un tel degré d'intériorisation qu'aucun effet de surface, aucun anachronisme ne peut altérer les situations et si la pièce et sa mise en scène tire à farce, à satire, scéniquement la fluidité est parfaite. Le parler populaire et le parler élégant se fondent dans le geste et le mouvement.

La mise en scène est emportée avec précision, légèreté, vivacité, gaité, dégage des pouvoirs étranges, engendre comme un miracle de cohérence. Toutes les conventions théâtrales se fondent dans une atmosphère de vraisemblance et donnent à chacun son instant et son instinct de vérité. Le spectateur à chaque instant se retrouve complice de cette famille et ne peut railler.

Par ce travail de comédie de mœurs, démonstration est faite scéniquement que dans un monde où les femmes se piquent d'être à l'égal des hommes, d'être des auteur(e)s, des savant(e)s, la pensée de mondes séparés (celui des sexes, des fonctions sociales, de la raison et de la déraison pourtant communément admise) est fausse. Démonstration est faite que d'authentiques chimères se concrétisent sur scène, forgeant l'union du corps et de l'esprit par l'amour et le désir et l'humour. Le théâtre en est le laboratoire et le rire s'épanouit en sourire d'aise, et conserve les volutes de la gaité qui ont déferlé.

"Trissotin ou Les Femmes Savantes"

© LoLL Willems.
© LoLL Willems.
Texte : Molière.
Mise en scène, décor et costumes : Macha Makeïeff.
Assistants à la mise en scène : Gaëlle Hermant et Camille de la Guillonnière.
Avec : Marie-Armelle Deguy, Vincent Winterhalter, Jeanne-Marie Levy, Geoffroy Rondeau, Vanessa Fonte, Caroline Espargilière, Arthur Igual ou Ivan Ludlow (en alernance), Philippe Fenwick, Pascal Ternisien, Louise Rebillaud, Bertrand Poncet, Arthur Deschamps (sous réserve).
Lumières : Jean Bellorini, assisté d'Olivier Tisseyre.
Son : Xavier Jacquot.
Coiffures et maquillage : Cécile Kretschmar, assistée de Judith Scotto.
Arrangements musicaux : Macha Makeïeff et Jean Bellorini.
Assistante à la scénographie et accessoires : Margot Clavières.
Construction d’accessoires : Patrice Ynesta.
Assistante aux costumes : Claudine Crauland.
Régisseur Général : André Neri.

© LoLL Willems.
© LoLL Willems.
Iconographe : Guillaume Cassar.
Studio son : Sébastien Trouvé.
Durée : 2 h 15.
Production La Criée Théâtre national de Marseille.

Du 10 avril au 10 mai 2019.
Du mardi au samedi à 21 h sauf mardi 16 et jeudi 18 avril à 20 h, dimanche à 15 h.
La Scala, Paris 10e, 01 40 03 44 30.
>> lascala-paris.com

Jean Grapin
Jeudi 4 Avril 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024