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Théâtre

"Tigrane" Histoire banale de sauvageon, de celles qui remplissent les souvenirs des enseignants

Encapuchonné, fermé, farouche, provocateur et fuyant. Conforme à l'image attendue, Tigrane (Soulaymane Rkiba), dans le spectacle éponyme de Jali Barcilon, est un mauvais garçon. Un garçon… à problèmes. Bordure comme on dit. Sous surveillance.



© Pauline Le Goff.
© Pauline Le Goff.
Renvoyable à tout moment. Affligé d'un père alcoolique et nihiliste, d'une mère absente, cumulant les retards, au vocabulaire d'une pauvreté affligeante et affligée. À l'expression pulsionnelle. Déstructurée. Destructrice. Tigrane est cet adolescent plein d'une vitalité retournée contre elle-même tout autant que contre la société.

Mais avec ce quelque chose d'enfantin et d'adulte qui sonne pour le professeur de français comme un espoir d'être du bon côté.

La prof (Sandrine Nicolas)… Cette petite femme blonde, fluette. Incarnation de l'autorité souriante et naturelle. Qui sait ce qu'elle sait et ce qu'elle ne sait pas. Et ose affronter l'inconnu et sait s'en défendre. Une prof comme on en rêve. Avec ce côté qui prend des risques dans la recherche de l'authenticité, la vérité des relations entre les êtres humains, entre les choses, entre les mots.

La représentation et le support. Avoir à dénouer les filets sous tension qui enserrent les personnalités. Débobiner le fil. Le fil d'un désir qui anime cette boule de nerfs qu'elle a en face d'elle… Sans casser le fil toujours sous tension. Car ce fil existe. En dépit du père. Grâce au père. Car le père, (Éric Leconte), ce bougre de père, n'est peut-être pas celui qu'on croit…

© Pauline Le Goff.
© Pauline Le Goff.
Justement associée au prof de dessin, la prof part de l'image et du conte pour construire des histoires. Caravage. Basquiat. Artistes fulgurants. Et pour échafauder une personnalité, elle sait débusquer un désir d'art, un désir d'amour et de relations. Le spectateur assiste à l'apprivoisement, le ménagement, la découverte de la vocation, l'idéalisation, l'émancipation du sauvageon.

L'histoire prend l'allure d'un conte de fées où l'accumulation des signes frôle l'invraisemblance, le vœu pieux, l'optimisme dangereux. C'est que le spectacle de Jali Barcilon s'appuie sur les conventions, les archétypes mais il évolue vers un théâtre de caractère. Une voie se trouve et le spectateur assiste à la fonte des caricatures et des préjugés. il se trouve plongé dans une bulle de sensibilité et d'intelligence.

C'est que, à bien y réfléchir, Tigrane est une histoire banale, de celles qui remplissent les souvenirs des enseignants, des pédagogues, si heureux d'avoir rencontré des Tigrane, ces élèves qui ont réussi en dépit des obstacles.

Le spectateur applaudit à cette nouvelle version de l'"Émile".

"Tigrane"

© Pauline Le Goff.
© Pauline Le Goff.
Texte : Jalie Barcilon.
Prix Lucernaire Laurent Terzieff-Pascale De Boysson 2018.
Mise en scène : Jalie Barcilon.
Avec : Éric Leconte, Soulaymane Rkiba et Sandrine Nicolas.
Collaboration artistique : Sarah Siré.
Création lumière : Jean-Claude Caillard.
Création sonore : Sophie Berger.
Scénographie et dessins : Laura Reboul.
Création costumes : Alexandre Chagnon.
Regard chorégraphique : Thomas Chopin.
Durée : 1 h 30.
Production Cie Lisa Klax.

Du 23 octobre au 8 décembre 2019.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h.
Théâtre Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

© Pauline Le Goff.
© Pauline Le Goff.

Jean Grapin
Samedi 9 Novembre 2019

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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