La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Retrouver les espoirs de la Vie, pour oublier un instant les folies de l'Histoire

"Le journal d'Anne Franck", Théâtre Rive Gauche, Paris

Dans une mise en scène où Steve Suissa choisit de faire de chaque acteur un témoin de l’Histoire, les comédiens, dans un jeu de très grande qualité, déploient des sentiments allant de l’enthousiasme au tragique faisant parfois oublier dans le quotidien d’une famille, le feu calcinant et destructeur de l’Histoire.



"Le journal d'Anne Franck" © Lot.
"Le journal d'Anne Franck" © Lot.
Otto Franck (Francis Huster) arrive sur scène, imperméable sur le dos et casquette vissée sur la tête dans un brouillard et une semi-obscurité. Au loin, le trafic ferroviaire charrie ses trains. Dès les premiers gestes, le talent entre sur scène comme une évidence. L’entrée est presque cinématographique avec des clairs-obscurs accompagnés d’une musique très présente.

Côté scénographie, la scène est découpée en deux, avec côté cour, une petite pièce symbolisant le temps présent dans lequel Otto Frank revit ses souvenirs en lisant le journal de sa fille. Sur toute la largeur de la scène se prolonge l’Annexe, lieu de refuge de la famille Frank. Souvenirs et réalité s’enlacent tout au long de la pièce.

Le jeu des acteurs est naturel, vif, rapide avec parfois quelques tempos lents de courts répits. Les silences d’Otto Frank nourrissent la pièce d’un tragique que les scènes dans l’Annexe, plutôt joyeuses ou animées, taisent. Ce sont les souvenirs qui deviennent paroles quand le présent, incarné par Otto Frank, devient silence et recueillement. Tout est vécu intérieurement avec force par Francis Huster. La voix de l’acteur presque éteinte au début, prend de la force et du volume, va crescendo.

Le spect-acteur devient témoin actif. Témoin de ce qui se passe dans l’Annexe. Et par ricochet, témoin de l’Histoire. La mise en scène de Steve Suissa embarque le spectateur dans une aire historique où le quotidien d’une famille juive pendant un génocide est mis à nu. La pièce est politique mais dans une démarche subtile d’interpellation.

"Le journal d'Anne Franck" © Lot.
"Le journal d'Anne Franck" © Lot.
Le jeu de tous les comédiens est remarquable avec Roxanne Duran (Anne Franck) et Francis Huster incarnant respectivement avec talent les deux pôles opposés de l’enthousiasme et du tragique. L’Histoire est une science lugubre. Crimes, assassinats, trahisons, massacres, génocides ponctuent le fil historique de notre inhumanité. Et là, devant nous, des êtres broyés par l’Histoire se chamaillent et nous font, parfois, rire. Le spectateur a le sentiment étrange de connaître un destin ignoré de ses propres acteurs, le mettant dans une position de « sachant », de témoin qui voit l’Histoire broyant ses victimes. L’interpellation est de mise et l’indifférence ne peut frayer son chemin.

Tous les sentiments défilent sur scène, de la simple dispute à la grandeur d’âme avec ses émotions, ses pleurs, ses amours et ses disputes. C’est ce regard à la fois tendre et objectif qui retient l’attention. Il y a à la fois distanciation aux personnages et identification à la situation.

Il y a aussi ce sentiment à la fois tragique et bouleversant de savoir tous les locataires de l’Annexe, à l’exception d’Otto Frank, morts dans les camps de concentration alors que sur scène Anne, la petite Margot et le timide Peter sont l’incarnation à la fois d’espoirs de Vie et folies de l’Histoire.

La mise en scène est parfaite dans ses enchaînements, rapides et vifs, avec une troupe de comédiens dont le talent est le socle commun soutenu par un texte dont la dramaturgie est de qualité. Tous les ingrédients d’un grand et très beau spectacle sont réunis. Le théâtre, pour notre bonheur, fait cause commune avec l’Histoire et le jeu.

"Le journal d’Anne Frank"

Texte : Éric-Emmanuel Schmitt.
D’après "Le journal d’Anne Frank", avec la permission du Fonds Anne Frank (Bâle).
Mise en scène : Steve Suissa.
Avec : Francis Huster, Gaïa Weiss, Roxane Durán, Odile Cohen, Katia Miran, Charlotte Kady, Yann Babilee Keogh, Bertrand Usclat, Yann Goven.
Collaboration artistique : Céline Billès-Izac.
Décors : Stéfanie Jarre.
Lumières : Jérôme Almeras.
Son : Alexandre Lessertisseur.
Costumes: Sylvie Pensa.

Du 5 septembre au 20 décembre 2012.
Du mardi au samedi à 21 h, en matinées samedi et dimanche à 15 h 30.
Théâtre Rive Gauche, Paris 14e, Réservations : 01 43 35 32 31.
>> theatre-rive-gauche.com

Safidine Alouache
Mercredi 19 Septembre 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024