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Théâtre

Représenter, questionner, polémiquer… un spectacle reflet d'une certaine société

"Le renard envieux qui me ronge le ventre", Centre Paris Anim' Les Halles Le Marais, Paris

Le plateau se compose à la fois de l'espace de jeu, lieu majoritairement vide qui ne sera habité que par les comédiens lors de leurs interprétations, et à la fois des coulisses apparentes où sont entreposés des portants qui permettent les multiples changements de costumes et donc de rôles.



© Sixtine Leroy.
© Sixtine Leroy.
La procession scénique nous évoque l'ambiance des défilés de mode où les tenues sont ici remplacées par une succession de clichés, préjugés et caricatures du féminin et du masculin, de la notion de genre et de celle de la sexualité. Le spectacle se découpe en quatre parties, chacune centrée sur un des personnages.

Les thèmes représentés sont ceux de la notion de consentement, les conditions des femmes au travail, ce qu'on attend d'un homme, un vrai, un viril, l'homosexualité, etc. Les scénarios mettent en scène l'impossibilité d'évoluer dans la société en restant soi-même, la superficialité des rapports engagés avec les autres puisque rien n'est sincère.

Désormais, le normal n'est plus de l'ordre du naturel mais s'inscrit dans un cadre sociétal. Les conventions se soumettent à des consignes latentes dans lesquelles tout le monde est plus ou moins empêtré. Nous revenons toujours dans les schémas qui nous ont été inculqués. Des interludes entrecoupent la trame narrative, qui sont fabulés, et dans lesquels se rejouent les thématiques abordées. Le cadre change mais la difficulté de s'imposer demeure : les individus sont piégés dans les rôles que la société leur a assignés.

© Sixtine Leroy.
© Sixtine Leroy.
Le texte est l'aboutissement d'un travail de plateau. Millie Duyé est partie des improvisations des comédiens auxquelles elle a additionné un temps de recherche et d'observation. Chacun des interprètes démontre une vraie qualité de jeu. Les personnages investis sont pleins de naïveté, d’honnêteté, d'inconscience, de tristesse… et suscitent une quantité d'émotion chez ceux qui les regardent s'exprimer.

"Le renard envieux…" est une belle métaphore de ce que l'on garde caché au fond de soi, ce que l'on n'ose montrer, et qui nous consume lentement et douloureusement. L'histoire raconte comment un soldat perdit la vie parce qu'il n'osa parler de peur du regard des autres. À la fin, une seule conclusion : "C'est absurde". Comment peut-on concevoir que quelqu'un préférera mourir plutôt que de vivre ce qu'il est ? La pièce résonne fortement d'actualité ; fait peur, probablement, parce qu'elle n'est pas bien différente de la réalité. Une pièce nécessaire.

"Le renard envieux qui me ronge le ventre"

© Sixtine Leroy.
© Sixtine Leroy.
Écriture et mis en scène : Millie Duyé.
Avec : Thomas Bouyou, Mélanie Charvy, Émilie Crubezy, Charles Dunnet et Loris Reynaert.
Création lumières : Tanguy Gauchet.
Musique originale : Korfall.
Création chorégraphique : Clément Victor.
Réalisation décors : Marion Dossikian.
Aide à la dramaturgie : Romain Picquart.
Compagnie Les Entichés - création 2017.
Durée : 1 h 20.

>> cielesentiches.com

A été joué les jeudi 8 et vendredi 9 février 2018.
Au Centre Paris Anim' Les Halles Le Marais, Paris 1er, 01 40 28 18 48.
>> anim-leshalles.org

Samedi 14 avril 2018 à 13 h 30.
Le Grand Parquet, Paris 18e, 01 40 03 72 23.
>> legrandparquet.fr

Ludivine Picot
Mardi 20 Février 2018

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© Jean-François Delon.
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Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023