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Théâtre

"Perce-neige"… Heurts, amour et tendresse

Le Théâtre 13 organise depuis quinze ans un concours de jeunes metteurs en scène qui s'est déroulé cette année du 2 au 14 octobre. Cinq pièces étaient en compétition dont "Perce-Neige" qui traite de la maladie psychique au sein d'un hôpital.



© DR.
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Traiter de personnes atteintes de troubles psychiques au théâtre dans un lieu où la parole, intime, est rendue publique, relève de la gageure. Peu s'y essaient. Le défi était d'autant plus important pour Juliette Bayi que sa sœur aînée est, depuis de nombreuses années, suivie par des psychiatres ou des psychologues. Celle-ci a d'ailleurs contribué sans le vouloir au titre et à une réplique finale qui s'est largement inspirée du propos suivant qu'elle a tenu un jour : "je suis comme un perce-neige, parce qu'un perce-neige ça meurt en automne et puis ça renaît en hiver, comme moi".

Il y a neuf personnages physiques mais la parole et le silence sont les deux principaux. Chaque "patient", pour reprendre le terme de Juliette Bayi, a son propre langage en butte à une forte résistance pour être, devant le médecin, libérée ; dans la grande salle de l'hôpital, accompagnée ou bousculée ; dans la chambre, intime et révoltée. L'extime prend appui sur le corps et les aides-soignants où le verbe accouche autant dans l'empathie que dans la colère et le rejet. Le silence est en écho autant à un vide qu'à une écoute, comme celui du monde. Quant à la parole, elle est celle du malade.

© DR.
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La scénographie est construite autour de trois pièces délimitées par des bandes blanches sur un sol noir où le déplacement des personnages est quasi géométrique, à angle droit à l'opposé d'un verbe souvent heurté, défaillant. La disposition des salles laisse voir au centre de la scène une grande salle dans laquelle la vie de l'hôpital se déroule. Côté cour, il y a le cabinet du docteur Mertens (Julie Duval) et, côté jardin, la chambre des hospitalisés. Ce rapport en symétrie opposée du corps médical et de la maladie, côtés cour et jardin, met en exergue la représentation du monde extérieur via le médecin et celle, coupée de l'extérieur, du malade où la grande salle au centre fait œuvre de médiation avec sa vie de groupe.

La scénographie met le docteur Mertens dans une position duale. Bien qu'empathique et à l'écoute, elle est souvent de dos et dans l'obscurité comme la représentation d'un monde extérieur qui occulte les personnes ayant des troubles psychiques alors que ses sorties semblent symboliser celles de nouveaux départs pour les hospitalisés.

Les propos tournent toujours autour d'une vérité, celle d'êtres où l'artifice, le maquillage social n'ont pas de résonance. Nous sommes dans un pré carré où le faux-semblant n'ose même pas faire entendre sa respiration. Tout est direct, d'une franche clarté même si les mots se cherchent dans l'obscurité d'une élocution parfois hachée.

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Ce sont des remises en question personnelles, des besoins d'amour, d'être, d'exister qui apparaissent. Un très joli travail d'interprétation est effectué par les comédiens dans leurs incarnations de patients où les troubles sont incarnés avec un corps et une élocution souvent vive, parfois assurée, toujours heurtée. Il y a aussi cette immixtion dans l'intime et l'amour. Les propos, bien que bousculés, n'en demeurent pas moins sujets à ses doutes et ses repères.

La scène, presque militaire, de la prise de médicaments montre un moment quasi machinal où le patient échappe à ce qu'il est. La création de Juliette Bayi est aussi un hommage appuyé à la pratique au quotidien d'aides-soignants qui se donnent corps et âme aux personnes qu'ils traitent.

C'est une création qui pose un mot aux mots, celui du malade à ceux d'une société pour faire entendre son propos trop souvent oublié, occulté, voire ignoré, en lui donnant une identité sociale et humaine avec ses envies, ses révoltes et ses tendresses. C'est une pièce vivante et porteuse d'espoir qui fait vivre la parole du malade sans que le regard de l'autre lui imprime une marque ou une empreinte aliénante.

"Perce-neige"

© DR.
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Catharsis hospitalière.
Texte et mise en scène : Juliette Bayi.
Assistant à la mise en scène : Romain Bouillaguet.
Avec : Ilian Bergala, Martin Campestre, Simon Cohen, Hermine Dos Santos, Julie Duval, Charlotte Levy, Laura Puech, Jonathan Turnbull, Geert Van Herwijnen.
Création musique : Lisa Petit de la Rhodière.
Lumières et régie : Vincent Dupuy.
Durée : 1 h 30 sans entracte.
Conseillé à partir de 10 ans.

A été représenté les 2 et 3 octobre 2020 au Théâtre 13 dans le cadre Prix Théâtre 13/Jeunes metteurs en scène 2020
>> theatre13.com

Safidin Alouache
Jeudi 15 Octobre 2020

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