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Théâtre

"Passeport" Sous un angle théâtral virtuose, plongée au cœur de la problématique de l'immigration

Issa, jeune Érythréen, laissé pour mort dans la "jungle" de Calais, mâchoire fracturée, a perdu la mémoire. Alors que le seul élément tangible de son passé est son passeport, il entame une longue quête semée d'embûches afin d'obtenir un titre de séjour, entouré de compagnons d'infortune, Ali et Arun, un Tunisien, ancien professeur d'anglais en Syrie, et un Indien tamoul, mais surtout pour rechercher son identité. Parallèlement, Lucas, jeune gendarme débutant, adopté par une famille française et originaire de Mayotte, affecté à la surveillance de la jungle de Calais, est, lui aussi, à la recherche de ses origines. Leurs destins vont se croiser.



© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Pour peu que la pratique de la scène ait pu être, un temps, dans nos us et coutumes, et que les notions de scénographie ne nous soient pas totalement étrangères, ou quand bien même ce ne serait pas le cas, il est impossible de rester de marbre face aux exploits scéniques du travail d'Alexis Michalik. On ne présente plus ce metteur en scène franco-britannique exceptionnel, bardé déjà de 11 Molière, véritable prodige de notre théâtre français et du théâtre privé… S'il fait ses débuts en tant que comédien sous la direction d'Irina Brook, dans le rôle titre de "Juliette et Roméo", c'est à la télévision qu'Alexis Michalik prend ses quartiers.

Au théâtre, il est remarqué d'emblée grâce à sa pièce "Le Porteur d'histoires" qui cumule à ce jour plus de 2 500 représentations. En 2020, avec "Une Histoire d'amour", il remporte le Molière du meilleur metteur en scène. Il est probable que notre génie des planches décroche à nouveau quelques Molière lors de la prochaine cérémonie dédiée au théâtre, tant son nouveau spectacle, aux allures de fable politico-sociale, est exceptionnelle à de nombreux égards.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Sur le plateau, pas de déploiements extravagants de décors, bien au contraire, mais, à nouveau, la "recette Michalik" opère, savoureuse, bien rodée et ingénieuse, grâce à des choix pertinents de la part de Juliette Azzopardi aux côtés du metteur en scène, notamment dans le fait d'avoir privilégié une sorte de grand conteneur qui transporte le public dans des univers différents, ou encore des pianos de cuisine et des rayonnages de livres qui roulent, se déplacent et créent en un temps records des transportations contextuelles époustouflantes. Juliette Azzopardi mériterait, elle aussi, un nouveau Molière pour ce spectacle !

De très belles vidéos, pour la plupart très colorées, sont projetées sur une paroi grise et confèrent au spectacle des allures hyperréalistes fort convaincantes.

Les changements de costumes à vue des sept comédiennes et comédiens sont rodés à la vitesse de la lumière. Chacun et chacun virevoltent d'un rôle à un autre avec une grande agilité à l'image d'un ballet chorégraphié avec élégance. Ça va vite, ça galope, ça déménage, à la différence du traitement de la lenteur administrative d'Issa pour obtenir sa naturalisation qui, quant à elle, piétine allègrement.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Le public est à nouveau emporté par l'histoire évoquée qui le transporte de la jungle de Calais à Mignaloux-Beauvoir dans la Vienne, ou à travers le long périple d'Issa à travers le monde. Celui-ci côtoie un CAO (Centre d'Accueil et d'Orientation) dans lequel il découvrira les méandres des longues démarches qui l'attendent. Soulignons ici le jeu remarquable de la comédienne Ysmahane Yaqini interprétant une employée comme automatisée, qui déverse son flot de paroles aux côtés du jeune homme éberlué.

Ses six partenaires de jeu, dont la diversité des origines apporte incontestablement à la pièce un souffle inégalé, sont également remarquables et honorent haut la main les intentions de leur metteur en scène.

Vaste sujet que l'immigration en France, sujet clivant et toujours d'actualité. "Je ne pars jamais d'un thème, c'est l'histoire qui me mène au thème et très souvent, je pars de la fin de cette histoire. Je lis beaucoup de livres, de BD, des témoignages, visionne des documentaires et, là, je commence à écrire une histoire, et dans ce spectacle, la thématique est plus large que la seule question de l'immigration : celle de l'identité et, inévitablement, du racisme".

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
D'aucuns jugeront cette nouvelle pièce d'Alexis Michalik pleine de bons sentiments et de sentimentalisme, trop sourde à la réalité intrinsèque des migrants, targueront Michalik de trop forcer sur l'eau de rose ou encore, compareront son spectacle aux romans "page turner". C'est leur droit le plus légitime. Il est toujours facile de juger.

Cela dit, "Passeport" reste du théâtre, et ce dernier, à preuve du contraire, n'a jamais prétendu à une transposition fine du réel… Sans quoi, ce ne serait plus du Théâtre…

"Passeport" n'est pas du théâtre engagé et, en plein cœur de la promulgation de la loi sur l'immigration, le public assiste avec ravissement à une histoire ficelée de main de maître par le virtuose des planches françaises.

"Passeport"

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Texte : Alexis Michalik.
Mise en scène : Alexis Michalik.
Assistante mise en scène : Clothilde Daniault.
Avec : Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kévin Razi, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini.
Décor : Juliette Azzopardi assistée de Arnaud de Segonzac.
Musiques : Sly Jonhson.
Son : Julius Tessarech.
Accessoires : Pauline Gallot.
Costumes : Marion Rebmann, assistée de Violaine de Maupeou.
Vidéos : Nathalie Cabrol assistée de Jérémy Secco.
Lumières : François Leneveu.

© Alejandro Guerrero.
© Alejandro Guerrero.
Du 24 janvier au 30 juin 2024.
Du mardi au samedi à 21 h, samedi à 16 h 30, dimanche à 17 h.
Théâtre de la Renaissance, Paris 10e, 01 42 08 18 50.
>> theatredelarenaissance.com

Ce spectacle a pour partenaire le Musée de l'Histoire de l'immigration et l'association Les Cuistots migrateurs.

Brigitte Corrigou
Vendredi 16 Février 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024