La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"On peut tout fuir, sauf sa conscience", Zweig

"Collaboration", Théâtre des Variétés, Paris

Le Théâtre des Variétés se pare d’une bien belle affiche en cette rentrée : la rencontre au sommet de Michel Aumont (Richard Strauss) et Didier Sandre (Stefan Zweig), sur fond de montée du nazisme. Si l’on passe outre les habituelles facilités propres aux mises en scène du théâtre privé, c’est surtout à l’étonnante pauvreté du texte que l’on doit notre semi-déception.



Didier Sandre et Michel Aumont © Bernard Richebé.
Didier Sandre et Michel Aumont © Bernard Richebé.
Le titre de la pièce joue sur le double sens du mot collaboration. Au sens premier, la collaboration professionnelle et amicale de deux hommes qui combinent leur talent d’écrivain et de compositeur pour créer un opéra-bouffe, La Femme silencieuse. Mais aussi, en arrière-plan, le sens nouveau dont s’est chargé ce mot après la seconde guerre mondiale : la collaboration avec le régime nazi.

La pièce présente donc deux artistes déjà au sommet de leur gloire. Pourtant, c’est peut-être leur seul point commun. L’un, Richard Strauss, bien que proche du régime nazi naissant, pense être intouchable et non concerné par la politique. L’autre au contraire, Stefan Zweig, pressent et craint profondément la violence que va engendrer cette politique. Leur admiration mutuelle et leur envie de collaborer donnent naissance à un spectacle qui connaît un grand succès mais qui va être très vite interdit : le régime nazi n’a pas supporté que le nom du Juif Zweig reste à l’affiche. Pour la suite, on connaît l’histoire : accompagné de sa seconde épouse, l’écrivain fuit à travers l’Angleterre, les États-Unis, puis le Brésil enfin, où il met fin à ses jours. Quant au compositeur, pour protéger sa belle-fille juive et ses petits-enfants, il se retrouve contraint de travailler pour les nazis…

Didier Sandre et Michel Aumont © Bernard Richebé.
Didier Sandre et Michel Aumont © Bernard Richebé.
Personnages passionnants, sans aucun doute, mais installés dans un décor sans surprise et des dialogues parfois un peu fades : une bibliothèque et quelques fauteuils, dont la couleur des coussins uniquement changera pour figurer l’intérieur de Strauss puis celui de Zweig. La pièce démarre bien lentement. Trop ? À dire vrai, le premier rebondissement ne survient qu’après une bonne heure de spectacle. Comment imaginer que ces deux artistes aient si peu de conversation ? Et comment la rencontre de ces deux génies ne produit-elle pas plus d’étincelles ? L’auteur, Ronald Harwood, est pourtant loin d’être un débutant : c’est à lui que l’on doit entre autres le scénario du Pianiste, réalisé par Polanski, et le texte de L’Habilleur, où triompha Terzieff. Il n’empêche que la mayonnaise ne prend pas vraiment, et la mise en scène plan-plan de Georges Werler, comme à son habitude, n’est pas là pour y ajouter du piment.

Michel Aumont, un de nos monstres sacrés du théâtre français, ne devient véritablement touchant que lorsqu’il est pris dans la douleur du déchirement : son art et son éthique d’un côté, et l’obligation de protéger sa famille de l’autre. Christiane Cohendy, qui joue sa femme avec beaucoup d’aplomb et parfois d’humour, si elle est une grande dame du théâtre, place sa voix un peu haute pour être tout à fait crédible ou émouvante.

En revanche, Didier Sandre dans le rôle de Zweig (personnage ô combien difficile à incarner) arrive à trouver un équilibre (bien complexe) entre richesse intérieure et insipidité apparente de l’artiste. Mettant de côté l’aspect parfois sophistiqué qui peut être le sien, le comédien réalise avec une humilité bienvenue une très belle performance.

On retiendra aussi la présence d’Eric Verdin en officier SS, froid, puissant, effrayant, absolument parfait comme toujours. Ses quelques scènes sortent du lot tant il les porte à un haut degré de tension.

La pièce heureusement se clôt sur un vrai moment d’émotion dans lequel le grand talent de Michel Aumont explose enfin : Strauss et sa femme face au tribunal de dénazification après la guerre… Ce pic final réconcilie quelque peu avec cette reconstitution historique manquant parfois cruellement de surprise et de saveur.

"Collaboration"

(Vu le 17 septembre)

Texte : Ronald Harwood.
Mise en scène : Georges Werler.
Avec : Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Sébastien Rognoni, Eric Verdin.
Décors : Agostino Pace.
Lumières : Jacques Puisais.
Costumes : Pascale Bordet.

Ce spectacle a débuté le 6 septembre 2011.
Théâtre des Variétés, Paris 2e.
Locations : 01 42 33 09 92.
Du mardi au vendredi à 20 h 30, le samedi à 21 h, le dimanche à 16 h 30.
Durée 1 h 45.
http://www.theatre-des-varietes.fr/

Michaël Duplessis
Samedi 24 Septembre 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024