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Avignon 2021

•Off 2021• Mademoiselle Julie Toute une vie en une nuit, comme celle d'un papillon

Comme l'annonce Christophe Lidon, directeur du CADO et metteur en scène de la pièce, en préambule à sa plaquette de saison : "Mademoiselle Julie" s'est fait attendre… La première de la pièce était prévue il y a six mois, le 20 mars 2020, quelques jours après le début de l'interdiction de toutes représentations sur la France. Après ce long sommeil, cette étrange belle au bois dormant surgit pour une nuit de la Saint-Jean bondée d'ivresse, de danses et de folies.



© Cyrille Valroff.
© Cyrille Valroff.
Aussi bien dans le décor qu'il a créé que dans les trajectoires des personnages, Christophe Lidon met en place une géométrie de l'inéluctable. Quatre immenses panneaux blancs encadrent l'espace de jeu : la cuisine de la maison où va se dérouler toute l'action. Sur ces panneaux, les projections successives créées par Léonard vont imager les différents extérieurs, et faire évoluer l'ambiance. À noter les très belles chorégraphies de Maud Le Pladec que le travail de vidéaste de Léonard transcende. On y voit dès les premières secondes du spectacle, le "bal" de la Saint-Jean où les couples s'attisent, où les corps se dissolvent dans la chaleur de cette nuit lunaire.

La cuisine, un peu à l'écart de cette fête sensuelle où le petit peuple s'affranchit de tout, est comme un îlot de calme, les coulisses d'un spectacle. C'est aussi le domaine de Christine, la cuisinière, la promise de Jean. Avec Julie, ce sont les deux seuls personnages de la pièce. Un triangle qu'on ne peut pas dire amoureux, point de romantisme ni dans le couple formé par Christine et Jean, ni dans le rapport qui fait l'action de la pièce entre Julie et Jean. Les échanges de ces deux derniers se teintent en permanence de force, de pouvoir, d'humiliation.

© Cyrille Valroff.
© Cyrille Valroff.
On pourrait croire en surface que la trame de "Mademoiselle Julie" est cette séduction croisée teintée d'ivresse et d'une forme de harcèlement. Sans en repousser cet aspect, Christophe Lidon en fait une autre lecture. Il met en avant le passé des protagonistes dont les aveux parsèment le texte, en faisant paraître en filigrane ces lignes géométriques que sont les fils des vies. C'est ainsi que le passé de Julie et de Jean éclaire les mots qui vont les mener à cette étreinte échangée dans la froideur violente du désir. Jusqu'à ce réveil dans la crudité des règles sociales qui les soumet : elle, fille de notables en mal d'émancipation, lui, serviteur rêvant d'un avenir libre et sans maître.

Les trois interprètes se glissent dans leurs personnages avec une totale conviction et beaucoup de réalisme. Sarah Biasini crée une Julie dense, tout sauf superficielle, imprégnée de sa propre histoire, son éducation réprimée, tentatrice mais aussi et surtout victime. Yannis Baraban impose un Jean terrien, carré, sans trop de doutes, qui prend parfois le visage implacable du destin face aux deux figures féminines. Deborah Grall incarne une Christine fragile et sensible, mais dotée d'une énergie vitale farouche.

L'épilogue à cette nuit de fête (la fête de Jean) sonne comme la condamnation de ceux qui veulent changer le cours de leur vie dans un monde sclérosé où les rôles et les places sont imposés par l'ordre ancien, celui du père, du comte, du maître dont l'ombre rode sans cesse sur les esprits de tous, et qui clôt cette nuit de son pas lourd, implacable comme la morale.

"Mademoiselle Julie"

© Cyrille Valroff.
© Cyrille Valroff.
Texte : August Strindberg.
Version scénique : Michael Stampe.
Mise en scène et scénographie : Christophe Lidon.
Assistante à la mise en scène : Valentine Galey.
Avec : Yannis Baraban, Sarah Biasini, Deborah Grall.
Chorégraphie : Maud Le Pladec (CCN d’Orléans).
Création lumière : Cyril Manetta.
Costumes : Chouchane Abello-Tcherpachian.
Images : Léonard.
Musique : Cyril Giroux.
Tout public à partir de 14 ans.
Durée : 1 h 20.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 30 juillet 2021.
Tous les jours à 16 h 30, relâche les 13, 20 et 27 juillet.
Théâtre des Halles, Salle Chapitre, rue du Roi René, Avignon.
Réservations : 04 32 76 24 51.
>> theatredeshalles.com

Bruno Fougniès
Vendredi 2 Juillet 2021

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024