La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2019

•Off 2019• Noir et Humide Entre lumière et obscurité, fascinante étrangeté de la banalité ordinaire…

Frédéric Garbe, amoureux des mots et de leurs sonorités, est avec son Autre Compagnie adepte des textes littéraires faisant résonner la matière "grise" lovée dans les replis de l'imaginaire. Après "Le Mois de Marie" de Thomas Bernhard présenté à Avignon en 2016, il creuse le sillon du pas de côté "éclairant" en mettant en jeu "Noir et Humide" de l'écrivain norvégien Jon Fosse, connu pour ses atmosphères troublantes émanant de situations quotidiennes des plus banales en soi.



© G. F./L'Autre Cie.
© G. F./L'Autre Cie.
Dans l'écrin d'une scénographie teintée de noir, gris, blanc et sobrement raffinée, enveloppée par les musiques analogiques produites en live et distillant de petites notes "fossement" douces, sur les images grisées et floutées d'une vidéaste-plasticienne à l'unisson, la comédienne ingénument innocente égrène cette écriture qui, de boucle en boucle, reprend les mêmes motifs comme pour mieux distiller l'étrangeté de la banalité ordinaire.

Entre la lumière d'une lampe jaune - "la belle lampe jaune de son frère" - et la fascination qu'elle ressent pour la cave - "à la cave il fait noir et humide et il y a des odeurs noires et humides" - va se jouer et se rejouer jusqu'à plus soif le désir de Lene, une petite fille semblable à toutes les autres.

Lorsque le plus important au monde pour elle, Lene - petite fille attirée irrésistiblement par les mystères du "noir et humide" qu'elle sent palpiter en elle comme la promesse de plaisirs indicibles -, se focalise sur la lampe de poche susceptible "d'éclairer" l'obscur objet du désir, elle est prête à braver l'interdit érigé en tabou : "emprunter" à son grand frère Asle, aux pieds chaussés accessoirement de longs skis, et malgré le refus catégorique de ce dernier, le sésame ouvrant la porte de la caverne secrète.

© G. F./L'Autre Cie.
© G. F./L'Autre Cie.
C'est alors, une plongée dans l'inconscient du désir où des épisodes d'ordre hallucinatoire - "alors qu'elle monte l'escalier du premier étage, elle voit à la cave un animal poilu aux grandes moustaches" - font irruption dans la narration répétitive de menus faits apparemment sans importance la laissant in fine au seuil de la cave, interdite, dans une tension palpable. Mais comment aurait-il pu en être autrement, le désir étant par nature obscur et devant le rester pour exister… Ni le soleil, ni la (petite) mort ne peuvent se regarder en face.

La parole incantatoire se déroulant sans autre ponctuation que les pauses musicales éclairant tour à tour les objets miniatures en papier sortis tout droit du récit (le canapé où Lene est assise, la porte d'entrée, le lit de son frère, les escaliers menant à la cave, etc.), a ce pouvoir d'envoûter le spectateur-auditeur pris à son tour dans le flux de cette prose épurée jusqu'au minimalisme. Entre lumières et ombres, le sens advient donné par les sens.

Un très grand moment de poésie pure, où la plastique des compositions de la vidéaste-sculptrice Pauline Léonet se fondant dans l'univers sonore créé par Vincent Hours vient épouser le jeu épuré de Camille Carraz, interprète semblant faite pour ce rôle au point où l'on imagine mal autre qu'elle pour "rendre conte" (sic) de l'innocence de cette petite fille habitée par le désir. Frédéric Garbe, le mentor resté dans l'ombre de cette belle entreprise collective, n'a décidément pas choisi au hasard le nom de sa compagnie, lui qui fait si bien entendre "l'autre scène" sur le plateau de ses créations.

"Noir et Humide"

Texte : Jon Fosse, paru aux éditions de L'Arche.
Traduction : Terje Sinding.
Mise en scène : Frédéric Garbe.
Avec : Camille Carraz.
Sculpture papier et vidéo : Pauline Léonet.
Dessin : Julien Chiclet.
Univers sonore : Vincent Hours.
L'Autre Compagnie.
Durée : 1 h.
À partir de 9 ans.

•Avignon Off 2019•
Du 5 au 28 juillet 2019.
Tous les jours à 10 h 50, relâche le mardi.
Théâtre Transversal, Salle 2
10, rue d'Amphoux.
Réservations : 04 90 86 17 12.
>> theatre-transversal-avignon.com

Yves Kafka
Mercredi 10 Juillet 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024