La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2019

•In 2019• 120 battements par minute Mourir d'aimer au rythme de beats envoûtants

Arnaud Rebotini et son Dan Van Club - auxquels Olivier Py a offert "La Cour" pour la soirée exceptionnelle de clôture - ont créé l'événement en transformant le lieu hautement historique en temple de la musique électro mixée de classique impressionniste. Partant de l'œuvre musicale originale écrite pour "120 battements par minute" - qui lui a valu un César - le compositeur phare de la musique électronique reprend en live les motifs de sa partition, amplifiés par le gigantisme du lieu et les vidéos des musiciens projetées sur mur de fond.



© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
Au rythme haletant des beats calqués sur les pulsations cardiaques, engageant son corps qui devient instrument, l'impressionnant DJ drivant sa formation enivre tant les sets résonnent en chacun. Recréant in vivo le déchaînement d'énergie musicale propre à "faire tenir debout" les malades du sida des années quatre-vingt quatre-vingt-dix et, sur fond du Triangle rose d'Act-Up - symbole des luttes des activistes en faveur des droits des personnes infectées par le VIH -, projeté à la pause sur la monumentale façade du Palais des Papes, il redonne vie à un combat loin d'être gagné.

Charismatique et créant avec le public un rapport de proximité chaleureuse, Arnaud Rebotini et ses musiciens, loin d'un "bouquet final" limitant la clôture de la 73e édition à un festif divertissement, recréent l'atmosphère des boîtes queer où, la nuit venue, le rythme de la house permettait de jouir d'instants échappant aux affres du VIH qui rongeait les corps le jour.

Ainsi, entre ombres et éclats de lumière, enveloppés par les sons toniques de la musique électronique délivrée par les synthétiseurs analogiques d'époque, les spectateurs sont gagnés par cette énergie musicale associée à un combat vital. Et, fait rarissime en cette Cour d'Honneur réputée pour ses codes, fussent-ils contestataires, jeunes et moins jeunes abandonnant leur siège transforment les travées en dance floor des années Act-Up.

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
Ce "concert-Act" inscrit encore plus son sens en étant précédé d'un prologue où deux acteurs du film éponyme de Robin Campillo mêlent leur voix pour faire entendre "Le bain" de Jean-Luc Lagarce. Installé chacun devant un pupitre faisant face au public, leurs voix fragiles et magnétiques n'en font plus qu'une avec celle de l'auteur-narrateur.

Texte bouleversant tant dans son écriture d'une fluidité poétique à accents durassiens que dans le sujet abordé, dans lequel Jean-Luc Lagarce, qui mourra du sida en septembre 95, recompose son histoire personnelle à partir des notes de son journal intime.

L'autofiction romanesque à valeur de confidence le conduit à évoquer le projet de se rendre en compagnie de son ami Müller à Berlin d'après la chute du mur, pour revenir ensuite vivre en France définitivement. Les retrouvailles avec G. à Paris, un week-end entier passé ensemble avant son départ, bouleversent le temps projeté. Cet appel téléphonique suivi de cette nuit douce, très douce, cette longue journée dans la chambre, et ce bain, leurs corps enlacés et une dernière fois unis, peuple son esprit d'une tendre nostalgie bouleversante.

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
Le corps amaigri, épuisé, détruit de G., annonçant la fin prochaine… Ce corps de vieillard aimé, enlevé dans ses bras, caressé longuement, déposé avec soin dans le bain, sont autant d'images vivaces prises dans une prose itérative dont les boucles incantatoires distillent le bonheur le plus grand et le désespoir d'une mort annoncée.

Quand Ron téléphonera au narrateur pour lui crier son amour, il ne pourra y répondre, tant cet amour il le réserve à G. Il y aura ensuite le retour précipité, après quelques jours passés finalement à Berlin avec Müller, et la chaleur écrasante de Paris précédant l'autre écrasante nouvelle… De la sensibilité à l'état pur - peu de récits de mort annoncée pouvant atteindre ce degré d'état de grâce - soutenue par les voix envoûtantes des deux acteurs accompagnés à l'unisson par le violoncelle, la harpe, le violon et la clarinette basse.

Immergé dans le contexte des années sida d'Act-Up, regroupant des identités plurielles autant que singulières chacune, le spectateur de la Cour d'Honneur revit en live les combats des homosexuels et séropositifs, les ravages de ce mal infernal qui tue encore - les chiffres projetés en début de concert sont là pour le rappeler - des personnes dont le seul crime est d'aimer éperdument. Hymne captivant à l'amour sans frontières, convoquant les pulsations de la musique divine d'Arnaud Rebotini et la poésie céleste des mots de Jean-Luc Lagarce, cette expérience grandeur nature fait battre, les nôtres cœurs, de manière démesurée.

"120 battements par minute"

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
Texte : "Le Bain" de Jean-Luc Lagarce, publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs.
Musique et adaptation : Arnaud Rebotini.
Avec : Arnaud Rebotini.
Et le Don Van Club : Paola Avilles Torres, Christophe Bruckert, Leo Cotten, Maxime Hoarau, Thomas Savy, Arnaud Seche, Amandine Robilliard.
Vidéo : Noel Alfonsi.
Son : Marco Paschke, Boris Wilsdorf.
Lecture : Mehdi Rahim-Silvioli, Coralie Russier, acteurs du film "120 battements par minute".
Regard extérieur : François Berreur.
Production Blackstrobe Records en partenariat avec le festival Résonance.
Une proposition conjointe du Festival d'Avignon et de l'Adami, pour cette soirée exceptionnelle dans la Cour d'honneur du Palais des Papes.

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
•Avignon In 2019•
A été représenté le 23 juillet 2019.
À 22 h.
Cour d'Honneur du Palais des Papes

Place du Palais.
>> festival-avignon.com

Yves Kafka
Vendredi 26 Juillet 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024