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Avignon 2019

•Off 2019• Le Fantôme d'Aziyadé À la recherche d'un fantasme survivant…

La voix chaude et modulée de Xavier Gallais, assis derrière un pupitre et faisant face à un micro donnant à sa voix un timbre d'outre lieu, invite à accompagner Pierre Loti dans un voyage au bout du désir. Celui du jeune officier de marine qui vécut dix ans auparavant une passion amoureuse pour la fascinante Aziyadé, resurgissant soudain des limbes de l'oubli. Istanbul, la Porte de l'Orient, ses quartiers bigarrés, ses parfums entêtants, revivent dans les plis déployés des mots égrenés.



© Pascal Victor/ArtcomPress.
© Pascal Victor/ArtcomPress.
Chorégraphiant le texte par la seule grâce des impulsions imperceptibles détachées de ses mains mouvantes, le comédien nous transporte dans un ailleurs digne des Mille et une Nuits. Nul besoin d'images projetées sur écran, notre imaginaire sollicité les distille en nous au rythme de la narration. Ce je qui raconte n'est plus seulement celui de Pierre Loti réincarné au travers de la voix énigmatique et chaleureuse du comédien, il devient aussi le nôtre tant nous sommes "conquis".

L'odalisque aux prunelles vertes entraperçue naguère entre les barreaux du balcon d'un harem, le coup de foudre réciproque qui s'ensuivit et les rencontres clandestines dans les nuits chaudes d'Istanbul où les deux amants trouvaient à abriter leur amour au fil de l'eau… Mais aussi la transgression de part et d'autre des places assignées par la culture et la religion d'origine. Un Occidental à la peau blanche tombant amoureux d'une musulmane prisonnière d'un vieux Turc… Le retour sur les lieux d'une passion dévorante… Tous les ingrédients romanesques sont réunis, sauf qu'il s'agit là d'une vraie histoire.

© Pascal Victor/ArtcomPress.
© Pascal Victor/ArtcomPress.
Émergeant des nappes lumineuses et musicales composées avec la même subtilité que le style tout en rondeurs exquises de l'écrivain voyageur, l'Orient est là, palpable. La ville s'est transformée, même le vieux quartier de la Corne d'Or a subi les atteintes de la modernité. La quête d'Aziyadé prendra l'allure d'un thriller le conduisant à rencontrer toutes celles qui l'ont connue. Itinéraire tortueux à l'image même de cette ville aux ruelles entrelacées.

De vieilles femmes, détentrices de la mémoire d'une époque à jamais révolue, seront les relais pour conduire l'homme occidental pressé - il n'a que trois jours à consacrer à ce voyage en terres anciennes - vers la dernière demeure de celle qui a profondément et durablement troublé ses sens.

Un voyage sensible et d'une poésie enivrante, tout ici n'étant que raffinement, sensualité, et volupté… Mais derrière la nostalgie se profile, dans l'épure d'une "représentation" orientale aux parfums suaves, la recherche effrénée du temps retrouvé. Ce sel de la vie qui constitue l'essence même de toute existence méritant ce nom, un autre poète, Paul Eluard, lui a donné le beau nom de "dur désir de durer".

"Le Fantôme d'Aziyadé"

© Pascal Victor/ArtcomPress.
© Pascal Victor/ArtcomPress.
Création 5 juillet 2019.
D'après les romans "Aziyadé" et "Fantôme d'Orient" de Pierre Loti.
Adaptation et mise en scène : Florient Azoulay & Xavier Gallais.
Avec : Xavier Gallais.
Création sonore : Olivier Innocenti.
scénographie et création lumière : Luca Antonucci.
Diffusion sonore et régie son : Florent Dalmas.
Compagnie KGA.
Durée : 1 h 20.
À partir de 10 ans.

•Avignon Off 2019•
Du 5 au 26 juillet 2019.
Tous les jours à 11 h, relâche les 12 et 19.
Théâtre La Reine Blanche
16 rue de la Grande Fusterie.
Réservations : 04 90 85 38 17 et 06 38 15 78 16.
>> reineblanche.com

Du 8 janvier au 1er mars 2020 à 19 h.
Théâtre du Lucernaire, salle rouge, 53 Rue Notre Dame des Champs, Paris 6e.

Yves Kafka
Dimanche 14 Juillet 2019

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023