La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2019

•Off 2019• L'histoire du communisme racontée aux malades mentaux Une folle histoire…

Quand il s'agit de faire (ré)écrire l'histoire du communisme pour "édifier" les malades d'une institution psychiatrique - qui eux aussi ont droit à avoir accès aux arcanes de la naissance de l'Homme Nouveau -, on convoque une baudruche d'écrivain qui, sous la surveillance active aux allures débonnaires du directeur médecin-chef, va devoir, suant à grosses gouttes, s'atteler à cette tâche hors du commun(isme). Et ce, sous le regard de Staline, le petit père des peuples, dont le portrait géant trône en fond de scène…



© Muriel Culmet.
© Muriel Culmet.
Lorsque ce sont les pensionnaires du Centre hospitalier de Montavet qui sont chargés de jouer les personnages accompagnés de leurs encadrants, les frontières entre véritables (?) malades, dissidents placés là par le régime en vue de leur rééducation, ou encore réactionnaires venus s'y cacher sous le masque de l'aliénation (on ne sait trop), et entre patients et personnel d'encadrement deviennent labiles à souhait : où se cachent les vrais (?) fous ? Surtout lorsque le parti pris de Matéi Visniec, l'auteur, est de proposer délibérément une farce aussi grotesque que grinçante, ridiculisant les agents de la propagande dans des tableaux au vitriol…

Lorsqu'une malade, équipée de sondes respiratoires, ouvre le bal en écartant les épais rideaux rouges pour pointer sa tête avant de s'avancer vers un micro - bien trop haut pour elle - afin de lancer vers la salle un retentissant et aigu "vive le camarade Staline !", repris en chœur quelques instants après par l'ensemble des malades alignés face à l'icône géante, on se dit que le Père Ubu n'est pas loin.

L'infirmière nymphomane hystérisant son amour pour Staline… et pour l'écrivain d'État… et pour tout le personnel… et pour les malades, y compris les plus atteints (ce qui indigne joliment le directeur, "les débiles moyens, passe, mais les débiles profonds, non ! vous faites le jeu du capitalisme !") jusqu'à démultiplier ses rapports sexuels de manière exponentielle, souligne le comique de situation propre à faire penser que, décidément, ceux qui idolâtrent le "stalinisme" ne peuvent être pris au sérieux.

Le premier chapitre rédigé par l'écrivain à la solde du régime est consacré au mot "utopie" dont la définition n'est pas, elle non plus, piquée des vers : "une utopie, c'est quand on est dans la merde et qu'on veut en sortir". Et quand le directeur médecin-chef le félicite de faire entendre le grand Staline aux malades, car "le communisme guérit de tout, l'autisme, la schizophrénie, les névroses" et plus si affinités, l'absurde triomphe.

Dans le quartier de haute sécurité où les patients vivent en autogestion, les éléments dits réactionnaires affublent d'un gros nez rouge le Grand Staline qui reçoit en cadeau une camisole de force, poursuivant dans la dérision le déboulonnage en règle de la statue du Commandeur. Et, déjà, confirmant la décadence, sont annoncées les pertes de l'Ukraine et de la Crimée. Décidément il y a quelque chose de pourri au royaume du communisme stalinien…

Le clou de la dérision se trouvant sans conteste dans la surprise réservée par la chute aux pensionnaires qui n'en croient pas leurs yeux d'aliénés mentaux… Même décédé, Staline survivrait-il à sa mort tant le communisme, valeur inaliénable, n'est pas négociable ?
Cette fable décapante, hilarante et grinçante, projette une caricature - à prendre au sens du grossissement du trait, et non déformation du modèle original - du communisme stalinien expliqué aux nuls… déficients mentaux que nous sommes tous, victimes des aveuglements idéologiques. La performance artistique, impeccablement mise en jeu et interprétée par de vrais malades, trouble à l'envi les limites entre normalité et folie, pour questionner tout projet de société faisant du bonheur des masses une affaire d'État.

Si "l'utopie de l'Homme Nouveau" se révèle une dystopie grotesque et cauchemardesque, le Théâtre de l'Autre Scène s'affirme, lui, de création en création, être un réel laboratoire "subversif" (au sens de subvertir l'ordre établi), stimulant les zygomatiques et les neurones au travers de propositions artistiques gaiement "anormales" (au sens de hors normes).

"L'histoire du Communisme racontée aux malades mentaux"

© Muriel Culmet.
© Muriel Culmet.
Texte : Matéi Visniec.
Mise en scène : Pascal Joumier.
Avec : Marjorie Audibert, Nicolas Barriere, Agnès Boinon, Alexandre Bourgue, Pierre Chalaron, Valérie Chardon, Charlène Cuisset, Catherine Gemon, Carole Guidotti, Fabrice Scaramelli.
Régie son et lumière : Muriel Culmet Cornillon.
Régisseuse plateau : Magali Mazars.
Par le Théâtre de l'Autre Scène.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2019•
Du 6 au 27 juillet 2019.
Tous les jours à 14 h 15, relâche le mardi, mercredi, vendredi et dimanche.
Fabrik Théâtre
10, route de Lyon, impasse Favot.
Réservations : 04 90 86 47 81.
>> fabriktheatre.fr

Yves Kafka
Jeudi 25 Juillet 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024