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Théâtre

"Nos films" Faire vibrer le cinéma, même absent, au cœur de nos rêves

Cendre Chassanne, femme de théâtre amoureuse de cinéma, rend hommage au 7e art. À sa manière. En mettant en scène "Nos films" sur un plateau de théâtre quasi vide. Le spectateur est face à un acteur seul sur le plateau éclairé chichement. Un micro et, au lointain, quelques légendes filmiques peu visibles.



© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
Il n'y a pas de ces images animées en contrepoint du jeu. De celles qui fascinent et dispersent l'attention. Ce qui est rare de nos jours… L'acteur se trouve dans la situation commune du spectateur qui, à la sortie de la séance de cinéma, conserve la vivacité de son émotion, son plaisir. Comme un trop-plein de sensations à transmettre.

Sur scène, l'acteur se trouve au point focal, au point neutre, face au public, mis en position de raconter. Sommé en quelque sorte de raconter. La représentation proposée par Cendre Chassanne est celle de la prise de parole. Après coup, après la représentation. Comme si celle-ci devait être réitérée pour mieux exister. Des fragments, des bribes, comme extraites de la projection.

Le projet de Cendre Chassanne prévoit neuf films portés par neuf comédiens en trois trilogies successives qui seront achevées en 2020. La première porte sur la "nouvelle vague" - François Truffaut, Jacques Doillon, Agnès Varda. Trois monologues distincts. Trois témoignages. Trois comédiens différents. Trois pépites théâtrales.

© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
Sur le plateau, les premiers gestes sont un peu gauches, avec des hésitations, des maladresses d'expression, une volubilité du verbe qui signalent la progression de l'émotion, la vivacité du plaisir éprouvé. Dans "Nos films", peu à peu, il est fait recours à l'accessoire, au mime, à l'attitude. Être le héros fugace et temporaire du récit que l'on campe et auquel, pour mieux en fixer la mémoire, y entremêler les souvenirs personnels, les circonstances. Et, trouver un fil conducteur, et la manière d'émotion, non maîtrisée ou pas !

Elle peut être une image, un rythme, un grain de plaisir corrélé à l'icône filmique que l'on décrit, au souvenir que l'on veut en garder. C'est une chanson souvent car le paradoxe, c'est que l'émotion, quand elle habite un corps et une conscience, peut se réduire à un petit air, un refrain ou bien un simple geste, ébauche d'une gestuelle typée. Des mains dans les poches d'un imperméable. Une cigarette dans le jeu d'un poignet… Un accessoire, un habit et c'est la confiance trouvée. L'élaboration d'un caractère. L'apparition du film.

© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
Paradoxalement, plus Cendre Chassanne approfondit le plateau théâtral et le jeu, plus le spectateur de théâtre devient un spectateur pris sous l'emprise du cinéma. En quête de prise de vues.

Assurément, le spectateur entre dans le viseur et assiste à ces instants coupés au montage qui fondent les rushs. Captés, piégés par la caméra. Au spectateur de monter, de rêver le film dont il s'agit. Il n'est pas nécessaire qu'il ait vu l'ensemble pour le comprendre.

Dans ce spectacle, le spectateur est confronté au mot et à la chose, cette "matière à contes et récits" que l'on nomme "cinéma". Il Imagine. Et officie dans cette cérémonie populaire inventée par les frères Lumière par laquelle le spectateur, après s'être imprégné en solitaire de sons d'images et de voix, éprouve des émotions, les raconte, les partage avec qui est supposé les avoir aussi ressenties. Et composer entre chaque spectateur comme un concerto le va-et-vient d'une génération, d'une époque. LE film. SON film. "Nos films".

© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
Il est fait par ce mode théâtral une mise en abyme de ce qui nous habite tous. Le souvenir de la chambre noire. Cette prise de conscience de l'ombre qui nous accompagne et de son reflet qui nous poursuit. Cet objet évanescent qui, depuis l'apparition de la lumière et de la chambre noire, peut être dès la caverne, assurément à la première flaque d'eau, assurément dès la première journée immobile quand seule l'ombre s'allonge et se raccourcit. Cet autre, ce semblable dédoublé entre soi et un support devant soi, ou par devers soi.L'ombre qui concrétise l'imaginaire… L'écran.

Dans "Nos films", le cinéma, pour une fois absent de l'écran, vibre intensément au cœur de nos rêves vécus en direct. Dans "Nos films", il est aussi question de théâtre. Ce qui accroît le plaisir.

P.S. : Le spectacle a été créé au printemps, en résidence du 25 février au 7 mars 2019, à l'Atheneum de Dijon. Cendre Chassanne est maintenant artiste associée au Volcan, au Havre, mais elle renforce en même temps l'ancrage de sa compagnie au Cinéma de Tonnerre (devenu Cinéma-Théâtre) où elle vient de terminer un événement avec les habitants.

Vu en octobre au Théâtre municipal Berthelot - Jean Guerrin à Montreuil (93).

"Nos films"

© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
© Thierry Ardouin-Tendance Floue.
Trois récits de films d'après :
"L'argent de poche" de François Truffaut ;
"Ponette" de Jacques Doillon ;
"Sans toit ni loi" d'Agnès Varda.
Conception, mise en scène et direction d'acteur : Cendre Chassanne.
Création sonore : Roudoudou.
De et avec : Nathalie Bitan, Carole Guittat, Isabelle Fournier.
Durée : 2 h 10, avec 2 entractes buvette et pop-corn !
Production : Compagnie Barbès 35.
Coproduction : Le Volcan, Scène nationale du Havre, L'atheneum (Dijon).

Mardi 19 novembre à 20 h 30.
Théâtre des Sources, Fontenay-aux-Roses (92), 01 71 10 73 70.
>> theatredessources.fr

Tournée à venir.

Jean Grapin
Mardi 12 Novembre 2019

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© Pics.
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