La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Coin de l’œil

Malveillance : La vie est un long fleuve pourri

Le psychopathe mis en scène par Jaume Balagueró n’est pas Hannibal Lecter. Il ne dévore pas ses victimes. Du moins pas au sens littéral du terme. Pour être exact, il se contente de les ronger de l’intérieur.



Malveillance © Le Pacte.
Malveillance © Le Pacte.
À première vue, Cesar est un garçon parfait. Il se lève aux aurores, avec précaution pour ne pas déranger la jeune femme qui dort profondément à ses côtés, et, après s’être brossé soigneusement les dents, sort sans plus de bruit de l’appartement pour, quelques étages plus bas, rejoindre son poste de gardien d’immeuble bourgeois. Poste qu’il occupe avec une disponibilité sans bornes, toujours prêt à rendre service, car Cesar est serviable, poli, prévenant, discret. Une perle.

Mais une perle qui a un gros problème : il n’arrive pas à être heureux. Son seul bonheur, c’est le malheur des autres. Rien ne le réjouit plus que de voir couler les larmes. Rien ne le déprime autant qu’un sourire éclairant un visage ou, pire, un éclat de rire. Ceux de Clara, par exemple, jeune femme pétante de santé et de joie de vivre, l’insupportent tout particulièrement. Et l’ennui, c’est que Clara vit dans l’immeuble. Alors, il met tout en œuvre pour effacer ce sourire, pour étouffer cet éclat de rire qui le tourmente tant. Avec zèle, discrétion et efficacité, comme toujours. Dans les ténèbres feutrées de la nuit, pendant que Clara dort, d’un sommeil trop profond, le cauchemar, son cauchemar, se met en place…

Malveillance © Le Pacte.
Malveillance © Le Pacte.
Mientras Duermes. Pendant que tu dors. Le titre original dit toute la perversité qui meut le "héros" de ce thriller aux apparences banales - le cinéma américain déroule au kilomètre ce type d’intrigue formatée où une brave fille, seule dans son appartement, devient la proie d’un maniaque plus ou moins imaginatif -, mais qui suit le fil d’un scénario écrit à l’acide sulfurique. Il ne faut pas se fier au ton très "chronique du quotidien" sur lequel s’ouvre Malveillance, car ce sont précisément ces faux petits riens, ces actes de tous les jours qu’accomplit Cesar, qui révèlent la nature du plan complètement tordu qu’il a mis sur pied et dont on pénètre peu à peu la monstruosité. L’application méticuleuse avec laquelle il s’acharne à pourrir la vie de sa victime, à lui rendre impossible tout bonheur futur, ne passe pas par l’habituelle panoplie d’agressions physiques qui truffent tout scénario hollywoodien qui se respecte, mais par un échafaudage de "malveillances" - une fois n’est pas coutume, le titre français est bien trouvé - touchant essentiellement à l’intime, qui augmentent en intensité à mesure qu’on s’achemine vers le dénouement. Et le choc est, évidemment, bien plus fort.

Malveillance © Le Pacte.
Malveillance © Le Pacte.
Entre deux volets de la franchise "[•rec]" - il a laissé son compère Placo Plaza seul aux manettes de "[•rec]3 Genesis", avant de s’atteler à "[•rec]4 Apocalypse" -, Jaume Balagueró s’est accordé un plaisir coupable en revenant à l’horreur feutrée qui fit sa marque de fabrique ("La Secte sans nom", "Darkness"). Il n’a pas perdu la main. Les zombies hystériques filmés caméra à l’épaule n’ont en rien altéré son goût pour des monstres moins immédiatement repérables, ni son sens du détail qui fait mouche sans vous gicler dans l’œil. Et dans le rôle de Cesar, psychopathe machiavélique d’anthologie, Luis Tosar vaut tous les bouffeurs de chair humaine. Pire, même, puisque lui n’a même pas besoin de vous mordre pour vous transformer en mort-vivant…

Malveillance © Le Pacte.
Malveillance © Le Pacte.
● Mientras duermes (Titre français : Malveillance).
Réalisation : Jaume Balagueró.
Scénario : Alberto Marini.
Avec : Luis Tosar, Marta Etura, Alberto San Juan, Iris Almeida.
En salles depuis le 28 décembre 2011.

>> mientrasduermeslapelicula.com


Gérard Biard
Vendredi 6 Janvier 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024