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Cirque & Rue

"Little Garden" révèle la drôle de faune qui est en nous

C'est devant un mur d'arbres, posés sur l'herbe, que l'on nous a dit de nous installer. Confortablement assis sur des petits carrés de moquette pour ne pas subir l'humidité et éviter de nous retrouver, pantalon, jupe ou robe, tachés de vert. Certains assis en tailleurs, d'autres les jambes allongées. Un des spectateurs avait même porté une chaise jusqu'ici pour assister au spectacle, "Little Garden". Littéralement "Petit Jardin". Un titre bien adapté à la situation où nous nous trouvions. Dans un coin de ce parc de l'hôpital psychiatrique La Chartreuse. Devant ce mur de feuilles formé par quelques arbres. Un petit jardin, tout à fait. Et nous allions assister donc, à ce qui était signifié en sous-titre sur les affichettes, à cette "parade nuptiale jonglée" !



© Elly Contini.
© Elly Contini.
"Jonglerie et mouvements zoomorphes" annonçait le deuxième sous-titre énigmatique de "Little Garden". C'est alors que le rideau de verdure se déchira pour que le spectacle commence. Il s'avançait seul. Visage singulier. Lèvres rentrées entre les dents. Yeux agités, observant alternativement de tous côtés. Tête rejetée en arrière. Tête qui tourne en saccades, gauche, droite, devant, derrière. Le reste du corps à l'avenant. Bras étrangement pliés le long du torse. Jambes fléchies qui se déploient soudain pour une avancée de quelques mètres sautillante. Ah oui, dans les mains, trois balles orange comme des oranges.

Tout d'un animal. Un premier. Lequel ? Peut-être une poule. Peut-être un dinosaure. L'un et l'autre. Qui s'avance vers le public avec les yeux sortant de l'orbite et ces drôles de mouvements, ces déplacements inattendus, ces cris venus du tréfonds du ventre. Ou ces grincements. Ces claquements du fond de gorge. Ces râles sonores qui effraient même les oiseaux en repos dans les ramures des arbres aux alentours.

© Elly Contini.
© Elly Contini.
Fabrizio Solinas se présente sous la forme de toute une série d'animaux. Il les incarne. En joue. Joue également de ses balles de jonglage sans perdre pourtant l'attitude de l'animal qu'il est en train d'incarner. Usant autant de son crâne, de ses membres et de tout son corps que de ses mains pour réaliser les figures de jongleries acrobatiques. C'est un spectacle à la fois stupéfiant et drôle qui provoque une sorte de fascination à voir et entendre cet artiste se transformer ainsi. Et puis il vient observer de près ces drôles de spécimens que sont ces humains assis en demi-cercle sur leurs petits carrés de moquette devant lui. Un peu de peur, un peu de rire.

La performance est sidérante. On reconnaît par moments des attitudes déjà observées dans la faune. Vivacité et regard fixe des lézards, des iguanes, curiosité insistante des certains oiseaux et leurs comiques déplacements sautillants. J'ai même cru reconnaître un tyrannosaure sorti tout droit de l'univers de Spielberg venir attraper avec la bouche le téléphone d'une spectatrice, intrigué par l'objet.

© Stefano Ricci.
© Stefano Ricci.
Dans "Little Garden", Fabrizio Solinas fait ainsi apparaître une sorte de déroulé de l'évolution des espèces : des reptiles aux oiseaux, aux mammifères, jusqu'aux humains lorsqu'il abandonne soudain son apparence "animal" pour se redresser et chanter dans un anglais pur une chanson. Chanson qui raconte qu'il est un homme ordinaire, un homme ordinaire…

Ce seront les seules paroles intelligibles du spectacle. Mais toute la démarche de cette création est pourtant immédiate. S'inspirant des parades nuptiales de toutes sortes d'animaux, Fabrizio Molinas séduit son auditoire, mais, d'abord, il le fascine, le fait rire, le fait rêver.

Vu au Cirque Lili, lors du Festival Prise de Cirq', à Dijon (21).

"Little Garden"

© Alessandro Villa.
© Alessandro Villa.
Création : Fabrizio Solinas.
Avec : Fabrizio Solinas.
Regards extérieurs : Johan Swartvagher, Nicolas Vercken, Cyril Casmèze et Pietro Selva Bonino.
Costumes : Mylie Maury et Dadoo Frison.
Production et diffusion : Élodie Michalski.
Tout public à partir de 3 ans.
Durée : 50 minutes.

Tournée
8 et 9 juillet 2023 : Scènes de rue, Mulhouse (68).
14 juillet 2023 : Festival Contre Courant, Île de la Barthelasse, Avignon (84).
Du 19 juillet au 14 août 2023 : Little Garden au Japon ! Représentations, exposition et tournage vidéo. Projet réalisé avec le soutien de l'Institut Français et de la région Hauts-de-France. Avec : Theatro Za Koenji Tokyo, Odawara Sannomaru Hall, Chigasaki Cultural Complex.

Tournée culturelle CCAS (spectacle dans les centres de vacances. Non ouvert au tout public)
18 août 2023 : Le Gros Pin, Six-Fours-les-Plages (83).
19 août 2023 : Domaine de Chibron, Signes (83).
20 août 2023 : Les Oursinières, Le Pradet (83).
22 août 2023 : Saint-Martin-Vésubie (06).
23 août 2023 : Les Eygoires, Savines-le-Lac (05).
24 août 2023 : Tourves (83).
25 août 2023 : Les Résidences du Colombier, Fréjus (83).

Sur la Communauté de Communes du Pays de Valois avec Plaines d'été Hauts-de-France & l'Eté Culturel :
30 août 2023 : Parc de Bonneuil-en-Valois (60).
31 août 2023 : Café Citoyen, Auger-Saint-Vincent (60).

9 et 10 septembre 2023 : Dinamico Festival, Reggio Emilia (Italie).
13 au 17 septembre 2023 : Festival Cergy Soit ! et ses préablables, Cergy (95).
22 septembre 2023 : Espace Beaumarais, Glaignes (60).
27 septembre 2023 : Maison de Retraite Le Château d'Ève, Ève (60).

Bruno Fougniès
Jeudi 6 Juillet 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

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Brigitte Corrigou
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023