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Théâtre

"Liliom" par Bellorini... Une certaine manière de faire se rejoindre la fable et la parabole

"Liliom ou la vie et la mort d'un vaurien", Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (93)

Le personnage de Liliom, de la pièce éponyme de Ferenc Molnár, est un fait divers ambulant à lui tout seul, il monte même au ciel et en redescend. À la fête foraine où, entre douceurs et brutalités, l'on vient de fort loin pour rêver à de forts lointains, il a mauvaise réputation Liliom. À la fête foraine, il est le boni-menteur que toutes les filles s'arrachent, y compris la patronne du manège.



© Pascal Victor/ArtcomArt.
© Pascal Victor/ArtcomArt.
À la loterie de la vie, certains y gagnent tendresse et stabilité comme Balthazar et Marie qui deviennent couple. D'autres comme Liliom et Julie s'accolent et ne gagnent que fatalité et violence. Liliom bat Julie. Ils font une enfant sans trop savoir. Tous deux emmurés dans leurs silences butés ne trouvent pas les mots et se trouvent séparés.

Cette histoire est si noire que même le commissaire du Bon Dieu, après la mort tragique de Liliom, ne peut la corriger après 16 ans de purgatoire…

Miracle d'un théâtre qui sait faire grincer le social dans une forme d'humour propre aux comédies dramatiques, "Liliom" peut être désopilante et tragique tout à la fois et sa réussite dépend d'une certaine manière de raconter et de montrer. Une certaine manière de faire se rejoindre la fable et la parabole et qui est art de théâtre. Ce que la mise en scène de Jean Bellorini, dans une grande sensibilité pour un art populaire, sait faire dans un bel équilibre entre le réel et l'imaginaire, les affects de rire et de larmes.

À la réalité tangible du décor authentique d'un manège d'autos tamponneuses fait écho la puissance du deus ex machina venu des cintres.

© Pascal Victor/ArtcomArt.
© Pascal Victor/ArtcomArt.
À la partition musicale qui fusionne musique et voix humaine dans une plainte douce à la limite du cri fait écho la parole claire et précise d'un conteur distancié à l'action et porteur de l'imagination des didascalies.

Dans ce dispositif à l'inverse d'un effort de conjonction des contraires, les personnages entrent en vibration et semblent animés par des pôles qui les aimantent. Estompés de blanc et de rose comme par mimétisme, ils semblent naître du décor forain lui-même pour conduire les deux héros à ce point de concrétion qui, de glissements en glissements (de métonymie en métonymies), atteint le point de la collision amoureuse. À la limite, là où justement s'exprime l'attraction, son silence, son trouble et son mystère, à ce point hésitant de la fatalité.

Qui fait que le mot amour ne vient pas pour Liliom car pour lui le point critique est déjà dépassé, pour Julie aussi car la collision a déjà eu lieu trop tôt pour que le mot existe.

Dans cette mise en scène Jean Bellorini tient la fable et la parabole. Il raconte au spectateur comment, après un tour d'auto tamponneuse, une grande roue peut vous faire rejoindre la voute céleste. Ou pas. À condition de savoir y faire.

La morale de cette histoire est que Liliom ne sait pas y faire.

La démonstration par la mise en scène et le jeu éblouit. Le public applaudit.

"Liliom ou la vie et la mort d'un vaurien"

Texte : Ferenc Molnár.
Traduction : Kristina Rády, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas.
Mise en scène : Jean Bellorini.
Avec : Julien Bouanich, Amandine Calsat, Julien Cigana, Delphine Cottu, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Teddy Melis, Marc Plas, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé, Damien Vigouroux
Costumes : Laurianne Scimemi, assistée de Marta Rossi.
Musique : Jean Bellorini, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé.
Maquillage : Laurence Aué.
Durée  : 2 h.

Du 25 septembre au 12 octobre 2014.
Du lundi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h 30. Relâche le mardi.
Théâtre Gérard Philipe, salle Roger Blin, Saint-Denis (93), 01 48 13 70 00.
>> theatregerardphilipe.com

Jean Grapin
Mardi 7 Octobre 2014

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