La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les Jumeaux vénitiens"… un visage à deux faces

"Les Jumeaux vénitiens", Théâtre Hébertot, Paris

La mise en scène de Jean-Louis Benoît enchaîne les scènes dans une belle dynamique de jeu où la méfiance doit être de mise face à un faux dévot et devant son propre frère.



© Bernard Richebé.
© Bernard Richebé.
La pièce de Goldoni (1707-1793), datée de 1745, est basée sur une trame où les personnages se dédoublent. Les amours et les conflits se baladent main dans la main dans de grands chemins de malentendus. Durant la période pisane de l’auteur, "Arlequin, valet de deux maîtres" (1745) et "Il frappatore" (1757) ont aussi été écrits avec pour thème commun "le double".

La scène se passe à Vérone. Les décors laissent apparaître dans des tons clairs, deux bâtisses qui se font face et qui rappellent une construction, en vis-à-vis, à la Roméo et Juliette. Un rail permet de les faire glisser pour que, côtés cour et jardin, ils se rencontrent avec parfois un léger décalage en profondeur.

Tout se joue autour d’un canevas avec le quiproquo comme lait nourricier. Voilà deux frères jumeaux, Zanetto et Tonino, que tout sépare sauf le physique. Il est facile de prendre le même comédien bien que les rôles restent difficiles à tenir. Ils sont superbement bien interprétés par Maxime d’Aboville qui arrive à les faire exister à tour de rôle en adoptant un ton et une attitude différents pour chacun d’entre eux. D’un côté, incisif, brave et homme d’honneur, de l’autre, timide, peureux et l’esprit à peine au-dessus du niveau de la mer.

© Bernard Richebé.
© Bernard Richebé.
Les répliques, pour certaines, ont été un peu "rajeunies" avec l’emploi de mots modernes qui dénature en rien la comédie. Dans la pièce apparaissent de grandes figures théâtrales telles que Pancrace (Olivier Sitruk), ce faux dévot, vrai jumeau de Tartuffe (1669). Il est habillé d’une redingote noire, les bras ouverts comme pour excuser les fautes de ses contemporains.

À l’époque et jusqu’à Beaumarchais (1732-1799) qui militait pour la reconnaissance des droits d’auteur (1791), un auteur avait toute liberté de s’inspirer largement d’œuvres sans encourir les foudres d’une cour de justice ou finir dans un duel pour plagiat.

On retrouve les principaux protagonistes de la commedia dell'arte tels que Colombine, Arlequin et Brighella. Dès le départ, le canevas est lancé par bribes. Il est aisé de suivre le puzzle théâtral dans lequel Goldoni, mis en scène par Jean-Louis Benoît, nous emmène. Ça hurle un peu, ça se bagarre beaucoup, ça complote, ça pleure, on y meurt et on y revit. Les protagonistes sont, à tour de rôle, sujets de leurs histoires ou objets de quiproquos. La roue tourne continuellement.

Chaque personnage est particulièrement bien typé sans que la caricature ne soit prise en otage. Serviteur, Colombine, Arlequin (Luc Tremblais, Agnès Pontier, Benjamin Junthers) sont bien sertis dans leur rôle de trublions pour indisposer le maître de maison ou donner du rythme à la pièce.

Toute la troupe, dans une mise en scène bien agencée, déploie une qualité de jeu qui donne à la comédie de Goldoni toute sa beauté. On se laisse prendre facilement aux quiproquos de scène dans son fauteuil de spectateur.

"Les Jumeaux vénitiens"

© Bernard Richebé.
© Bernard Richebé.
Texte : Carlo Goldoni.
Adaptation et mise en scène : Jean-Louis Benoît.
Avec : Maxime d’Aboville, Olivier Sitruk, Victoire Bélézy, Philippe Berodot, Adrien Gamba-Gontard, Benjamin Jungers, Thibault Lacroix, Agnès Pontier, Luc Tremblais, Margaux Van Den Plas.
Décors : Jean Haas, assisté de Bastien Forestier.
Lumières : Joël Hourbeigt.
Costumes : Frédéric Olivier.
Collaboration artistique : Laurent Delvert.
Durée : 1 h 50.

Jusqu’au 31 décembre 2017
Du mardi au samedi à 21 h, samedi à 16 h 30, dimanche à 16 h.
Théâtre Hébertot, Paris 17e, 01 43 87 23 23.
>> theatrehebertot.com

Safidin Alouache
Lundi 25 Septembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024