La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

Le château Venaria Reale envahi par des danseurs, chevaux, sphères gyroscopiques et pelleteuse

Festival Teatro a Corte, édition 2017, Turin, Italie

Un festival qui, pour cette édition 2017, coure sur presque la moitié de l'année : les premiers événements ont commencé le 27 juin dernier et la dernière date sera les 16 et 17 décembre prochains avec la mise en œuvre de la "Fête de la Danse" orchestrée par la chorégraphe Bianca Li (une fête qui, au Grand Palais, avait déjà mis en jambes 20 000 personnes).



"Galileo" © Teatro a Corte.
"Galileo" © Teatro a Corte.
Lors de ce week-end du 7 et 8 octobre, le festival redonne vie à la Venaria Reale, château piémontais d'une grande beauté architecturale entouré d'un jardin à la française aux dimensions impressionnantes. Trois spectacles ont investi différents lieux de ce bâtiment historique. Trois performances artistiques très différentes, mais aussi très visuelles et de dimensions internationales, qui sont dans la droite ligne éditoriale de Beppe Navello, directeur et concepteur du festival depuis sa création.

Premier temps : "Ma bête noire". Cela commence en pleine après-midi dans les jardins du château sous le feu encore brûlant du soleil d'automne. Il y a là comme une immense volière posée sur une arène de cirque, tombé là entre les lignes de buis et les bosquets en forme de labyrinthe, vaisseau sidéral creux fait de tubulures. Au centre du sable un canapé au cuir usé. En évolution, un cheval également massif et élégant, et un danseur, un cavalier, lui-même arborant une crinière, un torse puissant, une jambe musclée.

Et puis le son soudain qui met l'homme et l'animal en mouvement, tournoiement d'abord ensemble, l'un sur l'autre, puis libres chacun, le cheval, l'homme, jouant, joutant ensemble, à l'écoute, l'œil alerte, de la danse et de la cavalcade mêlées en une chorégraphie d'où l'on ne sait plus très rapidement qui mène, le cheval libre qui virevolte, s'arrête, fait volte-face où l'homme qui s'écroule, coure, danse et s'enlace au corps frémissant qui finit par se coucher.

"Ma bête noire" © François Chaussebourg.
"Ma bête noire" © François Chaussebourg.
Pas n'importe quelle musique. Non, la voix de Bashung en concert, en évolution comme celle des deux artistes sur la piste, en constante invention, sur le fil de l'émotion, où la mélodie, les textes ouvragés du chanteur font le cocktail explosif qui touche au cœur et fait vibrer jusqu'aux naseaux du destrier (Disque "L'imprudence", de Bashung). Parfois la musique est accessoire, décoration, illustration, là elle est charnellement impliquée : une histoire à trois qui se raconte entre Alain Bashung, Thomas Chaussebourg et War Zao.

Deuxième temps : le spectacle "Transports exceptionnels" nous fait sortir de l'enceinte du château en début de soirée. Rendez-vous sur le parvis devant l'entrée où nous attendent une pelleteuse et un danseur. Cette fois, ce sera l'empoignade entre l'homme et la machine. Valse prudente tout d'abord sur des envolées en français de Maria Callas, tourniquet, courses et élévations. Le jeu de chat et de souris se met en place entre les deux partenaires, l'un fait de rouages, de ferrailles et de pistons l'autre de muscles, de peau et d'esprit.

Un duo étonnant comme celui de la fragilité domptant la force brutale. Il est surtout question de cela : de force. De qui domine qui, même si parfois, par surprise, la machine devient la paume géante et réconfortante qui vient soigner la blessure.

"Galileo" © Teatro a Corte.
"Galileo" © Teatro a Corte.
Les images sont belles, prenantes, où l'on ressent la fragilité du corps du danseur face à l'invulnérable puissance de la machine. C'est ce qui reste, avec le regret de ne pas avoir, avec cette belle idée de duo, développé une histoire un peu plus humaine, un peu moins mécanique, un peu plus dramatique.

Troisième temps : "Galileo". Pour ce spectacle de fin de journée, la nuit tombée dans la cour principale du château, 4 000 spectateurs se pressent autour de la vaste fontaine et ses jets d'eau multicolores qui sortent du pavé en un large cercle. C'est le temps fort de ce chapitre du Teatro a Corte. Un spectacle circassien de très haute volée qui va jeter des flammes jusqu'au ciel et transformer la voûte étoilée en gigantesque mobile vivant.

L'installation est impressionnante. Le bras cyclopéen d'une grue tient au bout de son câble un ensemble de cercles imbriqués qui forment la maquette d'une constellation héliocentrique, une sphère armillaire. Une infrastructure énorme sur laquelle évoluent les artistes de la compagnie Deus Ex Machina. L'histoire qui va nous être racontée est celle de Galilée : la découverte scientifique de l'ordre physique de notre univers.

"Galileo" © Teatro a Corte.
"Galileo" © Teatro a Corte.
Le spectacle oscille entre émerveillements devant la hardiesse des interprètes qui, sur cordes lisses ou trapèzes, s'élèvent à des hauteurs incroyables, accrochés qu'ils sont à ce dispositif de métal. À cela se rajoutent des intermèdes où Galilée, incarné par un des artistes, raconte ses découvertes en prenant son bain à quinze mètres au-dessus du vide ou parcourant l'un des anneaux saturniens de la mécanique sur laquelle il se déplace.

Le final est de toute beauté (de même que le numéro de trapèze) car soudain, une demi-douzaine de circassiens s'envolent entourés par les flammes des torchères, accrochés à des cordes, s'envolent dans le ciel obscur, si haut qu'ils paraissent aussi petits que les figurines des mobiles que l'on accroche au-dessus des berceaux pour distraire les nouveau-nés. Et c'est ainsi que l'on se retrouve, nez en l'air, à regarder tournoyer, à plus de trente mètres de haut, ces miniatures cernées par les explosions pyrotechniques… comme un résumé de l'histoire de l'univers, du Big Bang à nos petits corps perdus dans l'espace intersidéral.

Teatro a Corte

"Transports exceptionnels" © Teatro a Corte.
"Transports exceptionnels" © Teatro a Corte.
Prochain week-end, les 16 et 17 décembre 2017.
>> teatroacorte.it

"Ma bête noire"
Danse, chorégraphie & mise en scène : Thomas Chaussebourg.
Cheval : War Zao.
Mise en scène, direction d'acteur : Fafiole Palassio.
Musique extraits de "L'imprudence" d'Alain Bashung.
Mixage bande son : Jeanno Jory.
Photos : François Chaussebourg.
Dressage : Nicolas Langlois, Julien Nicol, Coralline Ernewein.
Conception du décor : Rémi Jacob.
>> mabetenoire.fr

"Transports exceptionnels"
Duo pour un danseur et une pelleteuse.
Conception : Dominique Boivin assisté de Christine Erbé.
Avec : Philippe Priasso en alternance avec Aurélien Le Glaunec et Guillaume Olmeta en alternance avec William Defresne.
Compagnie Beau geste.
>> ciebeaugeste.com

"Galileo"
Compagnie Deus ex Machina.
>> deus-exmachina.fr

Bruno Fougniès
Vendredi 20 Octobre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024