La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

La fabrique de la domination, sujet de "Grand ReporTERRE #7" au Théâtre du Point de Jour de Lyon

Voilà le septième volet de cette série de "mise en pièces de l'actualité" imaginée par Angélique Clairand et Éric Massé, les deux codirecteurs du Théâtre du Point du Jour. Depuis 2020, à raison de deux créations par saison, ce rendez-vous est proposé au public lyonnais, avant de tourner en France et à l'étranger. Le principe est toujours le même. Les deux directeurs proposent à une artiste de créer un spectacle en co-conception avec une ou un journaliste et de s'emparer pour cela d'un thème actuel ou d'un questionnement social qui fait débat. Pour réaliser ces spectacles, le duo artiste-journaliste a une semaine de mise à disposition du théâtre et une enveloppe budgétaire qu'ils utilisent comme bon leur semble.



© Bertrand Gaudillère.
© Bertrand Gaudillère.
Tout le reste est laissé à leur totale liberté. Ces spectacles naissent ainsi de la combinaison de deux subjectivités : l'une plus artistique, l'autre plus analytique. Les six premiers opus de ces Grands ReporTERRE ont vu des thématiques fortes et variées : la Désobéissance civile, le Cyberféminisme (voir article RDS de janvier 21), les mouvements citoyens au Burkina Faso, l'Écologie et l'Énergie (article RDS de novembre 21), ainsi que des questionnements brûlants comme : faut-il séparer l'homme de l'artiste (voir article RDS de janvier 22), etc.

"Grand ReporTERRE #7" est l'occasion d'une rencontre entre Carole Thibaut et Lorraine de Foucher. La première est à la fois metteuse en scène, comédienne et directrice du Centre Dramatique National de Montluçon. C'est à elle que fut proposé ce principe de création. C'est elle aussi qui décida de placer cette création sous la bannière du large concept de "La fabrique de la domination". Lorraine de Foucher est journaliste et réalisatrice. Elle travaille pour France télévision et pour le service enquête du Monde. Ses sujets de prédilection sont la violence, notamment celle faite aux femmes avec différentes enquêtes dont "Féminicides" pour le Monde et France 2. Les deux femmes ne se connaissaient pas avant cette rencontre.

© Bertrand Gaudillère.
© Bertrand Gaudillère.
"Il nous a fallu le temps de la rencontre. Ça prend du temps une rencontre. Ça tâtonne, ça cherche l'autre et l'écho de l'autre en soi. Il fallait défricher un possible terrain commun où faire germer ce sujet : la fabrique de la domination", raconte Carole Thibaut.

C'est l'histoire de cette rencontre qui va servir de fil conducteur au spectacle. Et l'on assiste presque en direct à la fabrication de cette performance scénique, la création de cet objet théâtral à la fois informel, mais très construit. Les deux conceptrices, après avoir été à l'œuvre d'écriture, se retrouvent sur scène dans leur propre rôle, retraçant l'histoire de la découverte de l'autre, mais aussi et surtout du dévoilement de chacune de leur vie. Des vies qui semblent avoir été quasiment définies par le thème même du projet : "la fabrique de la domination".

Dans cet échange, mis en scène simplement avec deux chaises de bistrot, quelques effets de lumière et quelques projections vidéo, il sera essentiellement question de la violence faite aux femmes. C'est un des sujets de prédilection que les deux femmes ont en commun dans leurs différentes carrières. Elles reviennent ainsi sur quelques enquêtes menées par Lorraine de Foucher : les féminicides, les violences du cinéma porno, les plaintes contre Patrick Poivre d'Arvor.

Mais ce qui fait originalité et divergence de ces enquêtes, c'est l'axe par lequel celles-ci nous sont racontées. Loin, très loin de l'objectivité journalistique si rebattue, le spectacle s'attache essentiellement au sensible, aux émotions, aux ressentis que la journaliste a vécus et vit encore lorsqu'elle enquête sur ces sujets graves et douloureux. Nous est révélé par le biais de questions-réponses ou par de courts monologues, les combats, les doutes et les frustrations parfois que ces investigations demandent ou provoquent.

Sous une apparence très simple, dépouillée et hétéroclite, le spectacle prouve, au fur et à mesure de son avancée, une réelle construction dramatique, un rythme qui évite toute lourdeur, toute sensation de longueur. Le jeu s'invite partout et Lorraine de Foucher, pour une première sur une scène de théâtre, est très touchante, très juste, très assurée. La mise en scène de Carole Thibaut est une belle réussite, car elle donne de la vie et même de l'humour à un sujet pourtant dramatique. En tant qu'interprète, elle est parfaitement à l'aise. Son passage dansé sur une chanson totalement misogyne apporte soudain un visuel violent qui marque.

La performance est belle, car elle apporte de l'eau au moulin de la lutte contre la domination masculine totale que nos sociétés perpétuent, mais belle également parce qu'elle est spectacle en cela qu'elle ne parle pas uniquement à l'intelligence mais aussi au sensible, aux corps.

"Grand ReporTERRE #7"

© Bertrand Gaudillère.
© Bertrand Gaudillère.
Conception et mise en pièce de l'actualité : Carole Thibau et la journaliste Lorraine de Foucher.
Avec : Carole Thibaut et Lorraine de Foucher.
Création vidéo : Benoît Lahoz.
Collaboration artistique : Angélique Clairand.
Collaboration technique : Fabienne Gras, Thierry Pertière.
Durée : 1 h 30.

A été présenté les 3 et 4 mai 2023 au Théâtre du Point du Jour, Lyon 5e.

Prochaines dates
10 mai et 11 mai à 20 h : Théâtre Des Îlets - CDN, Montluçon (03).
>> theatredesilets.fr

À lire aussi :
"Grands ReporTERRE #2"
"Grands ReporTERRE #4"
"Grands ReporTERRE #4 Action !"
"Grands ReporTERRE #5"

Bruno Fougniès
Lundi 8 Mai 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024