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Théâtre

"Grands ReporTERRE #2" Une exploration éclairante du cyberféministe

Deux fois par saison, le Théâtre du Point du Jour invite journalistes et artistes (en binômes et en regards croisés) à créer une performance mise en scène autour d'un sujet d'actualité. Après le premier Grand ReporTERRE en 2019, où le metteur en scène Sébastien Valignat et le journaliste Christophe Bourseiller ont proposé une enquête sur les mouvements de désobéissance civile, Grands ReporTERRE #2 invite la journaliste Claire Richard et le Collectif Marthe à défendre leurs "zones de liberté".



© Bertrand Gaudillère.
© Bertrand Gaudillère.
Pour répondre à cette thématique, le Collectif Marthe et la journaliste Claire Richard se sont interrogées sur les luttes engagées par les cyberactivistes contre l'hégémonie masculine du Web et ses logiques capitalistes. Car dans l'histoire de l'informatique et la création du Web, là comme ailleurs, l'Histoire efface soigneusement l'apport dont les femmes sont responsables, comme si tout domaine technique leur était langue incompréhensible.

Au commencement, c'est une voix qui s'élève des ténèbres, puis une bribe de lumière apparaît sur scène, un lumignon à peine capable d'ouvrir l'espace et qui semble une faible fissure au fond d'une grotte ou la naissance d'un feu. Le spectacle commence comme un conte traçant une histoire qui remonte à l'origine des temps, quand le peuple des humains venait à peine de naître.

Quelque chose de biblique flotte à l'amorce du spectacle, un biblique où il ne sera pas question de dieux mais d'hommes et de femmes, et des attributions que les différentes sociétés, siècles après siècles, ont imposé à ces dernières : la mainmise des hommes sur l'histoire. La narration va se dérouler ainsi tout au long de la représentation, par l'intermédiaire d'une voix off qui raconte comment la mémoire sociale a pris l'habitude d'effacer les œuvres et les inventions des femmes, ou mieux, de les attribuer aux hommes.

© Bertrand Gaudillère.
© Bertrand Gaudillère.
Car depuis, disons le néolithique, l'Histoire retient comme signes cruciaux de l'évolution humaine, les inventions attribuées aux hommes et passe au second plan la part des femmes. Ainsi, l'invention de la lance (pour la chasse, apanage des hommes) prédomine sur celle du panier (attribuée aux femmes). Un exemple parmi d'autres. De façon plus générale, les livres d'Histoire n'attribuent jamais les développements techniques aux femmes. C'est par ce constat que les recherches du Collectif Marthe et de la journaliste Claire Richard ont débuté pour se pencher ce nouvel univers technologique : le réseau Internet et ses dérives de surveillance.

Sur scène, différents néons de couleurs oscillent comme d'immenses pixels, des écrans transparents sont manipulés par les deux comédiennes lorsqu'elles n'incarnent pas des personnages, une scénographie mouvante, énigmatique et comme symbolique d'un Darknet inquiétant, hypnotique. L'univers du Web est ainsi représenté à la fois comme espace de liberté et lieu de crainte, de surveillance. Difficile de représenter cet univers virtuel, un défi relevé avec inventivité par le Collectif Marthe.

Le texte, intelligent, vif et sensible, nous emmène vers les témoignages de ces femmes, résistantes qui giflent cette croyance en l'incapacité féminine aux inventions techniques en créant elles-mêmes des serveurs autonomes, indépendants des serveurs mastodontes qui surveillent toutes nos données, dans le but de donner un droit à la liberté d'expression à celles qui n'en ont pas. Une forme de lutte qui passe par ces infrastructures indépendantes et qui développe une pensée cyberféministe utopique où l'hégémonie binaire sexiste tente d'être dépassée, abolie : entendez par là, une utopie dé-genrée affranchie des considérations de sexe comme repère d'identité.

Le troisième chapitre de ces "Grands ReporTERRES" aura lieu jeudi 8 et vendredi 9 avril 2021 à 20 h au Théâtre du Point du Jour. Il sera mené par le metteur en scène burkinabé Aristide Tarnagda et le journaliste Boureima Salouka sur les thématiques suivantes : "Comment se dresser face à l'indignité ? Comment inventer des espaces de désobéissance face aux tentations de radicalisation ?"

"Grands ReporTERRE #2"

Création collective Collectif Marthe avec la journaliste Claire Richard.
Écriture et recherche : Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Claire Richard et Maybie Vareilles.
Mise en scène : Clara Bonnet.
Avec : Clara Bonnet et Marie-Ange Gagnaux.
Avec les voix de l'ingénieure informatique Margarita Padilla et des interprètes Vinora Epp (la cyborg), Claire Richard, Angélique Clairand et Éric Massé.
Collaboration : Éric Massé.
Son : Estelle Lambert.
Compositions musicales : Bédis Tir.
Scénographie : Anouk Dell'aiera.
Lumière : Quentin Chambeaud.
Plateau : Bertrand Fayolle.
Traduction : Julie Bonnet.
Durée : 50 minutes.

Théâtre du Point du Jour, 7, rue des Aqueducs, Lyon 5e.
Le spectacle a été représenté les 8 et 9 janvier 2021 à 16 h, devant un public restreint respectant les contraintes sanitaires en vigueur.
>> pointdujourtheatre.fr

Bruno Fougniès
Mercredi 13 Janvier 2021

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© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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© Pics.
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Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

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© Christel Billault.
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Bruno Fougniès
15/10/2023