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Théâtre

"La Ménagerie de verre" Une adaptation théâtrale au réalisme affiché où l'ironie du vivant perce largement

Chez les Wingfield, à Saint-Louis, dans l'Amérique des années trente, Amanda élève seule ses deux enfants, Tom et Laura. Le père s'est volatilisé. Elle est dépassée par leur éducation, connaît des difficultés financières et une sorte de crise existentielle. Tom, aussi narrateur, travaille dans un magasin de chaussures pour entretenir sa famille, mais il rêve de cinéma, de littérature et d'évasion. Il se vit comme poète.



© Juliette Ramirez.
© Juliette Ramirez.
Laura, quant à elle, est fragile et fait semblant d'aller à des cours de dactylo, mais elle erre toute la journée dans ma ville. À la maison, elle vit entourée d'animaux en verre taillé, dont une licorne à laquelle elle s'identifie. Jim est un collègue de Tom et Laura lui vouait une passion quand elle était plus jeune. Amanda l'invite à un dîner au cours duquel rien ne se passe comme prévu.

"La Ménagerie de verre" (The Glass Menagerie), écrite en 1944 à Chicago, est la septième pièce de Tennessee Williams. C'est avec cette pièce qu'il obtiendra une notoriété soudaine. Il s'agit d'une écriture en grande partie autobiographique (père absent, une petite sœur, Rose, déficiente physiquement, maladivement timide, probablement schizophrène) et qui met en avant les multiples barrières et autres obligations morales que bon nombre d'entre nous rencontrons tout au long de notre vie, l'importance de nos rêves, nos mémoires parfois fantasmées, mais aussi nos vies intérieures cloisonnées et souvent bridées.

Cette pièce de Tennessee Williams est un huis clos comme nous les aimons, dans lequel la psychologie de chacun des personnages est complexe, fragile – comme tous ces animaux en verre que Laura collectionne –, notamment une toute petite licorne. Chacun est à la recherche de ce quelque chose qui le rendrait différent, et au plus proche de ses aspirations les plus enfouies. Mais l'écriture pointe surtout du doigt le travail inépuisable de la mémoire, car Tom, personnage-narrateur, cherche à exprimer ses souvenirs, sans réelle objectivité ! Il est là, le thème premier de la pièce.

© Juliette Ramirez.
© Juliette Ramirez.
L'adaptation que Philippe Person propose en ce moment au Lucernaire s'inscrit dans un choix esthétique et dramaturgique pour le moins particulier, bien loin des quelques versions auxquelles nous avons déjà assisté et peut-être trop éloignée de la veine essentielle de Tennessee Williams : celle d'une chronique familiale dont le narrateur évoque des souvenirs de manière très subjective.

"Il s'est agi pour moi de monter cette pièce (…) sous l'angle d'un certain "expressionnisme" comme l'indique Tennessee Williams, et mes choix de scénographie se sont concentrés sur des éléments de l'intérieur de l'appartement des Wingfield (…) révélant l'intimité des trois principaux personnages", précise Philippe Person.

Probablement trop. L'expressionnisme n'est pas le réalisme au théâtre... À nos yeux, il s'agit là d'une pièce qui n'a peut-être pas besoin d'autant d'effets ostentatoires dans le choix des décors, ni dans tout autre effet scénographique, comme les rajouts de textes vidéos de certaines répliques des personnages. La puissance d'interprétation des deux comédiennes et des deux comédiens suffisait largement.

© Juliette Ramirez.
© Juliette Ramirez.
Nous étions à la première du spectacle, le mercredi 26 mars. Nous connaissons toutes et tous, s'il en est, la pression et les doutes que suscitent un tel moment pour les comédiens ! Ces derniers étaient largement perceptibles, notamment, dans le jeu au demeurant remarquable de Florence Le Corre dans le rôle d'Amanda, la mère.

La comédienne gagnerait à davantage d'intériorité dans ce rôle de cette mère-courage, encore belle, mais quelque peu envahissante dans l'éducation de ses deux enfants, vivant dans un déni notoire et hantée par sa jeunesse perdue. Le parcours déjà remarquablement bien rempli de Florence Le Corre le lui permettrait très largement. Nous nous souvenons d'elle dans le festival Off d'Avignon dans "La Maison de poupée" d'Ibsen, absolument bouleversante.

Gageons qu'elle y parviendra sans l'ombre d'un doute, que l'écrin de la salle "Paradis" du Théâtre la portera sans ambages, et qu'il atténuera son énergie débordante et survoltée pour l'auréoler d'un voile protecteur plus nuancé.

© Juliette Ramirez.
© Juliette Ramirez.
Mais monter cette pièce sur les planches, comme au cinéma d'ailleurs, est un véritable défi !
S'adressant directement au public, Tom se confie dès le début : "Oui, je vais vous surprendre, j'ai des tours dans mon sac. Mais je suis l'inverse d'un prestidigitateur de music-hall. Lui vous présente une illusion qui a l'apparence de la vérité. Moi, je vous présente la vérité sous le masque de l'illusion".

Il semblerait que Philippe Person ait un peu trop passé outre cette dimension essentielle de la pièce en choisissant de mettre davantage en avant la crise de nerfs d'une famille américaine sous la Dépression économique de l'époque, et à quelques encablures de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, le metteur en scène n'en est pas à son premier coup d'essai, loin de là, lui qui a dirigé le Lucernaire de 2009 à 2015 et qui, actuellement, en est le directeur de l'École. Ce sont environ trente spectacles que sa Compagnie a déjà montés, tant au Lucernaire, qu'au Festival d'Avignon ou à l'international.

© Juliette Ramirez.
© Juliette Ramirez.
La comédienne interprétant le rôle de Laura, Alice Serfati, quant à elle, cadre parfaitement avec la sensibilité de l'écriture de Tennessee Williams, personnage se débattant entre un mélange de fragilités, de désillusions, en réelle souffrance physique et psychologique. Son jeu subtil et tendre envahit le plateau de la salle "Paradis", elle qui, à travers sa collection d'animaux en verre, se protège dans sa différence, certes sans corne sur le front, mais arborant une fine beauté, à la recherche de son propre paradis amoureux auquel elle aurait droit, elle aussi.
Quand sa licorne se brise, comment réagira-t-elle ?

Quand son "galant" lui tourne le dos en quittant l'appartement, comme son père quelques années auparavant, dans quel état d'esprit est-elle ? Pour le savoir, rendez-vous au Théâtre le Lucernaire, lieu toujours aussi charmant du 6e arrondissement parisien, armez-vous de courage pour gravir le monumental et splendide escalier en bois qui mène à la salle "Paradis", et vous obtiendrez la réponse.
◙ Brigitte Corrigou

"La Ménagerie de verre"

© Juliette Ramirez.
© Juliette Ramirez.
Texte : Tennessee Williams.
Traduction : Isabelle Fanchom.
Mise en scène : Philippe Person.
Avec : Florence le Corre, Alice Serfati, Blaise Jouhannaud et Antoine Maabed.
Décors Vincent Blot
Lumières et vidéo (textes projetés) : Tom Bouchardon.
Production Cie Philippe Person.
À partir de 10 ans.
Durée : 1 h 25.

Du 26 mars au 1er juin 2025.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h 30.
Théâtre Le Lucernaire, Théâtre Le Paradis, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 11 avril à l’issue de la représentation.

Brigitte Corrigou
Jeudi 10 Avril 2025

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