La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"L'Étang"… Comme une plongée dans le monde intérieur des enfants tourmentés

La chorégraphe et artiste franco-autrichienne Gisèle Vienne fait de "L'Étang" de Robert Walser un moyen d'exploration des sphères intimes des enfants tourmentés par des figures d'autorité. Les actrices Adèle Haenel et Henrietta Wallberg mènent le spectacle dans des décors stériles dans lesquels la musique de Stephen O' Malley intensifie des perceptions temporelles et sensorielles.



© Estelle Hanania.
© Estelle Hanania.
"L'Étang" (Der Teich), écrit en 1902 par Robert Walser pour sa sœur, raconte l'histoire d'un petit garçon, Fritz, qui se jette dans un étang près de la maison puisqu'il ne se sent pas aimé par sa mère. La chorégraphe et artiste franco-autrichienne Gisèle Vienne s'inspire de cette pièce pour mettre en scène le monde intérieur chaotique des enfants tourmentés par des figures d'autorité. La production, débutée en novembre 2020 au Théâtre National de Bretagne, transforme "L'Étang" en symbole de la conscience : une surface tranquille au début qui est sondée jusqu'à révéler le fond de l'abîme intérieur des enfants. Les décors sont stériles pour diriger la focalisation vers l'intensité spatiotemporelle et sensorielle de cette descente aux enfers.

Le spectacle commence dans une chambre épurée avec des murs blancs et un lit simple au milieu de la scène. Cette chambre pourrait être partout et nulle part : une chambre de gamin dans une maison inconnue, celle dans un institut psychiatrique, mais aussi un espace métaphorique dans la tête des enfants dans lequel sont enfermés des blessures les plus profondes de l'esprit. Les actrices Adèle Haenel et Henrietta Wallberg incarnent respectivement l'enfant et la figure d'autorité. Haenel incarne Fritz, le protagoniste de "L'Étang", ainsi que d'autres enfants (qui n'apparaissent pas sur scène) face à Wallberg incarnant la mère et le père.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Le dialogue se construit des voix altérées et amplifiées des actrices qui semblent venir de loin. Les voix se répondent et se superposent dans une agitation élevée, construisant des flots angoissés et troublants de sanglots, de rires étouffés, de cris et des premiers gémissements de plaisir enfantin. L'intensité des émotions qui en résulte est amplifiée par un gonflement temporel qui se reflète sur la figure parentale qui bouge au ralenti et de façon asynchrone par rapport aux flots tumultueux des voix enfantines.

L'intensification des sens perceptifs est couronnée par la musique pulsative de Stephen O' Malley qui a inspiré Gisèle Vienne au départ, et qui apporte aux différentes phases de la plongée une pesanteur qui conduit le drame, par chaque changement de couleur scénique, toujours plus proche de l'abîme. Au cours du spectacle, l'éclairage d'Yves Godin glisse, de manière circulaire, des nuances de vert clair à celles de bleu clair et ensuite à celles de rouge-orange, représentant les étapes de la conscience et le rapprochement vers le gouffre. De temps en temps, l'éclairage redevient pâle et naturel pour signaler la temporalité dramatique qui se fige, mais l'angoisse ne se dissipe jamais.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Les voix reprennent et recommencent d'une manière qui semble être sans fin, de plus en plus angoissées et chaotiques encore, manifestant d'un désespoir étouffé en réponse aux parents qui démentissent leur existence jusqu'au déni. La figure de Wallberg, parlant d'une tonalité menaçante, moqueuse et parfois même dégradante, s'empare de la psyché de l'enfant dans une force croissante. Face à cette présence écrasante, la figure d'Haenel, roulant par terre comme tourmentée par des forces invisibles, n'a aucun autre choix que d'imploser. Il faut attendre les ténèbres et la tombée abrupte du silence pour ressentir un certain soulagement.

Vu le 28 mai 2022 au Jugendstiltheater am Steinhof (faisant partie du Site Otto Wagner à Baumgärtner Höhe 1, Vienne, 14e district).

"L'Étang"

© Estelle Hanania.
© Estelle Hanania.
D'après l'œuvre originale "Der Teich (L'Étang)" de Robert Walser (Pour Kerstin).
Première publique le 4 mai 2021 au Théâtre de Vidy-Lausanne, Suisse.
"L'Étang" a été créé en résidence au Théâtre National de Bretagne en novembre 2020.
Adaptation : Adèle Haenel, Julie Shanahan, Henrietta Wallberg, en collaboration avec Gisèle Vienne.
Conception, mise en scène, scénographie, dramaturgie : Gisèle Vienne.
Avec : Adèle Haenel et Julie Shanahan/Henrietta Wallberg en alternance.
Lumière : Yves Godin.
Création sonore : Adrien Michel.
Direction musicale : Stephen F. O’Malley.
Musique originale : Stephen F. O’Malley et François J. Bonnet.
Assistante en tournée : Sophie Demeyer.
Regard extérieur : Dennis Cooper & Anja Röttgerkamp.
Collaboration à la scénographie : Maroussia Vaes.
Conception des poupées : Gisèle Vienne.
Création des poupées : Raphaël Rubbens, Dorothéa Vienne-Pollak et Gisèle Vienne, en collaboration avec le Théâtre National de Bretagne.
Fabrication du décor : Nanterre-Amandiers CDN.
Décor et accessoires : Gisèle Vienne, Camille Queval et Guillaume Dumont.
Costumes : Gisèle Vienne et Camille Queval.
Maquillage et perruques : Mélanie Gerbeaux.

>> Site de Gisèle Vienne.

Vinda Miguna
Mercredi 15 Juin 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024