La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Je suis Fassbinder"… De la passion politique !

"Je suis Fassbinder", Théâtre du Rond-Point, Paris

Homme du sixième et du septième art ayant traversé le monde artistique de façon rapide et phénoménale, Fassbinder a marqué son époque avec sa créativité hors norme. La pièce de Falk Richter, mise en scène avec la collaboration de Stanislas Nordey, retrace une partie de ses combats au travers de notre actualité.



© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Cinq comédiens sont attablés côté jardin loin de l'avant-scène. Ils attendent le top départ avant de jouer. C'est une prémisse de ce qui va se jouer lors de la représentation. Nous sommes dans un entre-deux avec des interprètes qui jouent différents personnages, tout en tombant souvent le masque pour incarner le comédien qu'il joue à être. Du théâtre dans le théâtre. Voire du cinéma dans le théâtre car caméra et micro apparaissent aussi dans certains tableaux.

Les répliques mettent en résonance, entre autres, les migrants, Le Pen ou Daech. De multiples photos, dont celles de Fassbinder (1945-1982) avec Hanna Schygulla, tapissent la scénographie quand elle ne s'abreuve pas directement du film "Les larmes amères de Petra Von Kant" (1972). Des scènes d'autres œuvres du cinéaste sont aussi projetées.

Il s'agit ici d'une pièce politique qui traite du racisme, de l'exclusion, du terrorisme, de la peur de l'actualité, de la perception du monde, de la difficulté d'aimer avec une incursion dans les identités sexuelles.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
L'entame de la pièce débute dans une discussion filmée sur les agressions commises par des "migrants" lors du nouvel an 2016 à Cologne. L'enquête démontrera que le profil des suspects est très varié et que les délits commis se rangent dans différentes catégories. Le ton est donné sur la perception d'événements qui est appréhendée de différentes façons selon le point de vue du protagoniste. Qui représente quoi ?

Un homme joue la maman du cinéaste en revendiquant en son nom le propos qu'il tient concernant la question posée du rapport entre personnage et comédien, ce dernier étant aussi le produit du terreau dans lequel il vit. Qui est qui dans cette scène ? C'est un jeu à double miroir. Je suis peu, pas ou beaucoup celui que j'incarne car je le dépasse, voire je le nie en ayant une attitude opposée.

On passe d'un personnage à son contraire, d'une réactionnaire à une défenseure des migrants, d'un romantique à un branleur obsessionnel. C'est un détour dans une actualité sombre avec ses impasses idéologiques ou sa compréhension qui mène à un enfermement, voire à une stigmatisation ou à une ouverture, habillée de passion irraisonnée ou raisonnée. Jamais neutre

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Derrière les artistes se déroule un ensemble de vidéos, d'extraits de films de Fassbinder. Chaque personnage s'incarne dans une multitude de rôles. Il change suivant les lieux, les circonstances, la scène. Il n'y a pas de demi-mesure, le propos est toujours tranché, les attitudes très marquées.

C'est un très bel hommage que rendent Falk Richter et Stanislas Nordey à Rainer Werner Fassbinder, cinéaste météore et dramaturge, mort à trente-sept ans, ayant monté quarante-deux films et une vingtaine de mises en scène… Et qui a essayé de comprendre l'Allemagne dans sa globalité, au travers de son histoire contemporaine, de ses minorités sociales et sexuelles, de son rapport au capitalisme. La pièce est à l'évidence politique et interpelle chacun sur la place qu'il a dans la société.

"Je suis Fassbinder"

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Texte : Falk Richter.
Traduction : Anne Monfort.
Mise en scène : Stanislas Nordey et Falk Richter.
Avec : Judith Henry, Dea Liane, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Vinicius Timmerman.
Collaboratrice artistique : Claire Ingrid Cottanceau.
Dramaturgie : Nils Haarmann.
Scénographie et costumes : Katrin Hoffmann.
Assistante aux costumes : Juliette Gaudel.
Assistante à la scénographie : Fabienne Delude.
Lumière : Stéphanie Daniel.
Musique : Matthias Grübel.
Vidéo : Aliocha Van der Avoort.
Réalisation décors et costumes : Ateliers du Théâtre National de Strasbourg.
Durée : 1 h 55.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Du 5 au 28 avril 2019.
Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Relâche exceptionnel le 21 avril.
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris 8e, 01 44 95 98 21.
>> theatredurondpoint.fr

Safidin Alouache
Mardi 16 Avril 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023







À découvrir

"Othello" Iago et Othello… le vice et la vertu, deux maux qui vont très bien ensemble

Réécrit dans sa version française par Jean-Michel Déprats, le texte de William Shakespeare devient ici matière contemporaine explorant à l'envi les arcanes des comportements humains. Quant à la mise en jeu proposée par Jean-François Sivadier, elle restitue - "à la lettre" près - l'esprit de cette pièce crépusculaire livrant le Maure de Venise à la perfidie poussée jusqu'à son point d'incandescence de l'intrigant Iago, incarné par un Nicolas Bouchaud à la hauteur de sa réputation donnant la réplique à un magnifique Adama Diop débordant de vitalité.

© Jean-Louis Fernandez.
Un décor sombre pouvant faire penser à d'immenses mâchoires mobiles propres à avaler les personnages crée la fantasmagorie de cette intrigue lumineuse. En effet, très vite, on s'aperçoit que l'enjeu de cet affrontement "à mots couverts" ne se trouve pas dans quelque menace guerrière menaçant Chypre que le Maure de Venise, en tant que général des armées, serait censé défendre… Ceci n'est que "pré-texte". L'intérêt se noue ailleurs, autour des agissements de Iago, ce maître ès-fourberies qui n'aura de cesse de détruire méthodiquement tous celles et ceux qui lui vouent (pourtant) une fidélité sans faille…

L'humour (parfois grinçant) n'est pour autant jamais absent… Ainsi lors du tableau inaugural, lorsque le Maure de Venise confie comment il s'est joué des aprioris du vieux sénateur vénitien, père de Desdémone, en lui livrant comment en sa qualité d'ancien esclave il fut racheté, allant jusqu'à s'approprier le nom d'"anthropophage" dans le même temps que sa belle "dévorait" ses paroles… Ou lorsque Iago, croisant les jambes dans un fauteuil, lunettes en main, joue avec une ironie mordante le psychanalyste du malheureux Cassio, déchu par ses soins de son poste, allongé devant lui et hurlant sa peine de s'être bagarré en état d'ébriété avec le gouverneur… Ou encore, lorsque le noble bouffon Roderigo, est ridiculisé à plates coutures par Iago tirant maléfiquement les ficelles, comme si le prétendant éconduit de Desdémone n'était plus qu'une vulgaire marionnette entre ses mains expertes.

Yves Kafka
03/03/2023
Spectacle à la Une

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
07/04/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022