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Festivals

Festival Trente Trente XXIe édition de l'événement bordelais qui bouleverse normes et préjugés…

Épisode 1 "The very last northen white rhino" et "La Doublure du réel"

De même que l'automne se confond en terres bordelaises avec les vendanges, le Festival Trente Trente du début d'année est attendu comme un rite faisant partie intégrante du paysage. Durant quinze jours (du 16 janvier au 2 février), dans pas moins de dix lieux culturels de la métropole bordelaise et de Boulazac (Dordogne), nombre de propositions associant danse, performance, cirque, musique, théâtre, installation - traversées toutes par la même exigence, celle de la prise de risque artistique - sont offertes à notre curiosité mise à vif par Jean-Luc Terrade, l'instigateur de "l'événement" (au sens fort du mot).



"The very last northen white rhino" © Pierre Planchenault.
"The very last northen white rhino" © Pierre Planchenault.
"The very last northen white rhino", du chorégraphe Gaston Core et de son interprète, le danseur Oulouy, ouvre le festival par une chorégraphie au potentiel sensible décuplé, l'homme-danseur et l'animal rhinocéros en voie d'extinction "faisant corps"…

Dans le lieu mythique de La Manufacture CDCN, les murs de béton gris prennent subitement vie sous l'effet de la présence charismatique de l'artiste puisant dans le répertoire des danses urbaines et africaines son inspiration à fleur de peau. En symbiose avec le sort réservé par ses semblables aux rhinocéros blancs sacrifiés sur l'autel du profit, l'homme-danseur déploie des figures intranquilles d'une puissance telle que le déséquilibre menaçant constamment son imposante silhouette devient palpable, au point de créer le vertige en nous.

D'emblée, sa posture agenouillée dévoile la prière de celui qui se sait condamné. Ses mains jointes se délient pour glisser sur son visage apeuré, ses doigts entamant alors un étrange ballet guerrier où la lenteur le dispute à la tension retenue.

"The very last northen white rhino" © Pierre Planchenault.
"The very last northen white rhino" © Pierre Planchenault.
Accompagnés par le son du violon, de musiques discordantes, de bruits lointains de moteurs et de paroles inaudibles, les bras s'élancent et les pieds glissent jusqu'à désarticuler la carcasse jusqu'à la faire choir. Il est à cet instant le rhinocéros blanc, lui l'homme noir dont le regard inquiet scrute l'environnement hostile. Et lorsque traqué, ballotté par la musique s'amplifiant de cris stridents, il tourne sur lui-même jusqu'à s'écrouler à genoux dans un silence absolu précédent son immobilisation au sol, on ressent au plus profond de notre chair la brûlure de la mise à mort.

Parcourant toute la gamme des émotions "humaines", de la mélancolie enveloppante à l'effroi paralysant, de la joie innocente à la combativité active, le corps se fait porte-parole des traversées en territoires sauvages pour, soutenu par des musiques et lumières idoines, porter jusqu'à nous l'indicible des disparitions programmées.

"La Doublure du réel" © Pierre Planchenault.
"La Doublure du réel" © Pierre Planchenault.
"La Doublure du réel", de Christophe Schaeffer, propose une fabuleuse plongée immersive dans la banalité d'un quotidien recomposé par ses soins. Par l'entremise de courts films expérimentaux "projetant" un regard – le sien – sur des situations réelles extraites de l'existence telle qu'elle se présente à nos yeux ensommeillés, le réalisateur scénographe philosophe (il est, entre autres, l'auteur d'une thèse sur la transcendance) invite à son tour le regardeur à créer sa propre fantasmagorie.

Casque aux oreilles, yeux rivés sur l'un des six écrans… Les arcanes des mondes que l'on porte en soi se dévoilent alors pour dire d'eux ce que nous ignorions l'instant d'avant…

Par les interstices des réalités "revues" se glissent d'autres réalités laissant place au champ de "l'autre scène". Comme si, par d'inattendues et minuscules lignes de failles spatio-temporelles, on pénétrait de plain-pied – telle Alice au pays des merveilles – de l'autre côté du miroir pour y entrevoir, comme on l'avait jamais vue, la réalité transcendée, le sacré et le profane réunis en un tout.

"La Doublure du réel" © Pierre Planchenault.
"La Doublure du réel" © Pierre Planchenault.
Des titres empruntant au registre de l'ordinaire leur nom – "Old man", "Le vol", "La Plage", "La rencontre", "Le casque", "Le parapluie jaune", "Le plongeoir", "La mouette", "La Forêt", "Les cheveux", "En terrasse", etc. – font office de cartons du cinéma muet, le spectateur étant celui par qui la parole sera donnée aux images projetées et aux fonds sonores les accompagnant.

Cette invitation ludique au voyage intérieur – réalisé grâce à la mise en pause salutaire du continuum d'images déferlantes imposées par une existence évidant les sens – a pour effet de "reconsidérer" la banalité du quotidien afin de voir en lui le lieu du surgissement des sens. Une expérience sensorielle et philosophique à nulle autre pareille, un temps suspendu venant trouer la vision standardisée.

"The very last northen white rhino" © Pierre Planchenault.
"The very last northen white rhino" © Pierre Planchenault.
"The very last northen white rhino"
Danse - Barcelone, Espagne.
Concept et mise en scène : Gaston Core.
Interprétation : Oulouy.
Chorégraphie : Gaston Core en collaboration avec le danseur.
Collaboration : Aina Alegre.
Photo & Video : Alice Brazzit.
Musique : Jorge da Rocha.
Lumières : Ivan Cascon.
Technique : Manu Ordenavia.
Stylisme : Eva Berna.
Durée : 40 minutes.

Vu le mardi 16 janvier à La Manufacture CDCN à Bordeaux dans le cadre du festival Trente Trente.

"La doublure du réel" © Pierre Planchenault.
"La doublure du réel" © Pierre Planchenault.
"La Doublure du réel"
Projection de films expérimentaux en continu.
Et rencontre avec le réalisateur Christophe Schaeffer.

Vu le jeudi 18 janvier à Éclats à Bordeaux.
Représenté en continu le mercredi 17 janvier (de 18 h à 21 h), le jeudi 18 janvier (de 18 h à 20 h), le samedi 20 janvier (de 15 h à 18 h) à Éclats, Bordeaux (gratuit, en accès libre).
Représenté en continu les vendredi 26 et samedi 27 janvier (de 20 h à 23 h) au Glob Théâtre, Bordeaux.

Du 16 janvier au 2 février 2024.
Festival Trente Trente
XXIe Rencontres de la Forme Courte dans le Spectacle Vivant
Bordeaux Métropole - Boulazac.
>> trentetrente.com

Yves Kafka
Jeudi 25 Janvier 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

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Gil Chauveau
14/06/2024
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Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024