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Festivals

Festival Trente Trente Libérez les amarres… le bouquet final

Du "Défilé performances et curiosités" organisé par La Maison de La (première maison pluridisciplinaire Drag) aux performances chorégraphiées de "Discipline in disorder", "Outrar" et "Mouhawala Oula", s'exhale un enivrant parfum de liberté, artistique comme humaine, propre à réenchanter les plus blasés. En offrant ce bouquet d'émotions salutaires à un public à la recherche d'authentiques découvertes, le Festival affirme sa griffe : une poétique politique de nature à "révolutionner" les arts vivants.



"Défilé performances et curiosités" © Pierre Planchenault.
"Défilé performances et curiosités" © Pierre Planchenault.
"Défilé performances et curiosités", avec comme maîtres maîtresses de cérémonie d'étonnantes créatures, De La Beuhchaire, De La Saboté(e), accompagné(e)s de cinq artistes drag et queer, aux noms de rêve de Soa de Muse, Elips, Otopsie, Gioffré, Nathan Selighini, et d'une dizaine d'aficionados, invite à une soirée cousue d'un imaginaire flamboyant. Une fête des sens où couleurs de tenues haute couture, déambulations explosant de liberté et shows musicaux ouvrent grand les portes d'une nuit extravagante et lumineuse.

Confondant les genres pour libérer l'humain en chacun et chacune, les défilés successifs donneront à voir coiffures à cornes, cheveux en cascade, chignons gigantesques, dreadlocks, cagoules, visages et corps grimés, ongles somptueux, tenues ajustées, amples robes à capuchon, habits de plumes, corsets à lacets, strings cousus mains, et encore pléthore de chaussures, des cuissardes rutilantes aux créations à bascules défiant les lois de "la gravité" terrestre.

Ainsi dans ce lieu bordelais des "Vivres de l'art" - qui n'a jamais ce soir aussi bien porté son nom - "entre kermesse pour adultes et striptease pour enfants", les codes volent gaiement en éclats pour célébrer, dans un esprit de bienveillance partagé, la beauté essentielle de l'humain libéré de ses pelures héritées.

"Discipline in disorder" © Pierre Planchenault.
"Discipline in disorder" © Pierre Planchenault.
"Discipline in disorder", d'Annabelle Chambon, propulse dans un maelström de sensations bousculant les certitudes établies. Ce lapin géant habité par la performeuse faisant corps avec lui au point d'en transmettre les moindres frémissements, ce mammifère à douce fourrure - avant d'être dépiauté… - qui adore interagir avec ses frères humains et dont on va suivre les tribulations intranquilles, de qui est-il le nom ?

Annabelle Chambon se souvient des patients de l'asile de San Clemente, cette île près de Venise, filmés par la caméra de Raymond Depardon. Si ce lieu d'enfermement a été depuis réhabilité en palace, effaçant jusqu'à sa trace au profit de son ancien statut plus politiquement correct de monastère, la performeuse garde imprimées en elle les images de cette humanité "sous contrôle". Se laissant prendre par les émotions traversées, elle se livre aux ressacs d'une "tempête sous un corps" dont l'intensité est de nature à éclabousser le public.

Suivant un itinéraire listé (passant par les bases "sceptre", "dépeçage", "licorne"…) sans autre cohérence que l'intensité des sentiments éprouvés, elle se lance à corps perdu dans l'exploration d'une "technologie politique du corps", celle inhérente aux lieux d'enfermement telle que Foucault l'évoque dans "Surveiller et punir". Se transperçant l'œil, le ventre avec la hampe d'une pancarte sans revendication, croquant à pleines dents des carottes qu'elle recrache, titubant et tressautant, se dépiautant et apparaissant nue dans la vérité d'un être livré aux chasseurs prédateurs, crucifiée, elle tente… et réussit à résister à l'ordre dominant.

Et s'il serait hasardeux de tirer un discours articulé de cette débauche d'énergie délivrée par un corps dans tous ses états, ce qui s'impose irrésistiblement, c'est la force impérieuse de son engagement, de nature à faire rendre l'âme à nos certitudes "ordonnées".

"Outrar" © Pierre Planchenault.
"Outrar" © Pierre Planchenault.
"Outrar", de Volmir Cordeiro, entraîne dans une tornade de couleurs virevoltantes accrochées à un corps débonnaire surplombant de sa hauteur phénoménale notre bas monde. Tel un impressionnant géant de carnaval, paré d'une casquette et de longs gants rouges, revêtu d'une multitude de jupons multicolores, il va facétieusement - au gré d'une bande son réinterprétée de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues - déambuler à la recherche de câlins. Alternant sourires béats et grimaces loufoques, sa danse multipliera les glissades… jusqu'atterrir, radieux, dans les bras ou sur la tête des spectateurs et spectatrices massés autour de la piste.

"Ce fut comme une apparition"… Annoncé par des grondements incessants, jaillit de nulle part, un sorcier en transes, envoûté et envoûtant, traversé par des mouvements frénétiques le propulsant jovialement vers les vivants. Libéré de toutes entraves, le corps du danseur devient lieu de régressions innocentes renouant avec le paradis perdu des fantaisies enfantines. L'énergie prodigieuse qui l'anime se répand comme une trainée de poudre aux vertus hilarantes. Un bain de jouvence aux effets hallucinatoires.

"Mouhawala Oula" © Randa Mirza.
"Mouhawala Oula" © Randa Mirza.
"Mouhawala Oula", d'Alexandre Paulikevitch, se donne à voir comme une parenthèse libertaire annihilant, avec grâce et finesse, les codes hérités pour les mieux travestir. Libanais, vivant à Beyrouth, porté par une vitalité "sans frontières", il se lance corps et âme dans les oscillations lascives du Baladi - danse du ventre réservée par la tradition orientale aux femmes - de nature à chavirer le(s) sens.

Nu de la tête aux pieds, il revêt une jupe à volants qui, au gré de ses tournoiements élancés, laisse généreusement apparaître les attributs d'une masculinité rimant au rythme d'une fabuleuse et nébuleuse chevelure, brouillant ainsi les frontières entre virilité et féminité, transgressant allègrement ces deux catégories surfaites de la manière la plus naturelle qui soit.

Troquant son seul vêtement pour un jupon rouge et accompagné d'une violoniste tirant de son instrument accords et désaccords, le danseur se livre à des défilés par lesquels il traverse les états des genres entremêlés. Du torse bombé et des muscles bandés, à la sensualité d'une gestuelle empreinte d'une volupté à fleur de peau, en passant par les grimaces iconoclastes, ses "déplacements" rappellent - et il en est encore besoin… - que l'humain est un tout indivisible, irréductible à la stigmatisation d'un sexe dédié. Un monument de liberté sereine…

"Défilé performances et curiosités" © Pierre Planchenault.
"Défilé performances et curiosités" © Pierre Planchenault.
"Défilé performances et curiosités"
Soirée avec deux défilés, de 20 h 30 à 21 h 15 et de 22 h à 22 h 45.
Conception : Maison de La, Antoine Linsale/De La Saboté(e) X et Guillaume Collard/De La Beuhchaire.
Avec : De La Saboté(e), De la Beuhchaire, Soa de Muse, Otopsie, Gioffré, Nathan Selighini et une dizaine de participants participantes.
DJ : Bobbi Watson.
Court métrage : Le manifeste de la nuit/Arthur Lacomblez.

Vu le mardi 24 janvier aux Vivres de l'Art à Bordeaux, en coréalisation avec La Maison de La, dans le cadre du Festival Trente Trente qui s'est déroulé du 12 janvier au 2 février 2023.

"Discipline in disorder" © Pierre Planchenault.
"Discipline in disorder" © Pierre Planchenault.
"Discipline in disorder"
Performance.
Conception : Annabelle Chambon et Cédric Charron.
Performance : Annabelle Chambon.
Durée : 30 minutes.

Vu le samedi 28 janvier au Marché de Lerme à Bordeaux, dans le cadre du Festival Trente Trente.

"Outrar" © Pierre Planchenault.
"Outrar" © Pierre Planchenault.
"Outrar"
Danse.
Chorégraphie, interprétation, costumes : Volmir Cordeiro.
Assistant de création : Bruno Pace.
Conception du projet : Lia Rodrigues en étroite collaboration avec les artistes de sa compagnie de danse (Amalia Lima, Leonardo Nunes, Carolina Repetto, Valentina Fittipaldi, Andrey Silva, Larissa Lima, Ricardo Xavier).
Bande originale créée et jouée par : Zeca Assumpção, Henk Zwart, Mendel, Grupo Cadeira (Inês Assumpção, Jorge Potyguara, Miguel Bevilacqua, Henrique Rabello) et pièces du CD "Authentic South America 5, The Amazon".
Montage et mixage : Alexandre Seabra.
Durée : 25 minutes.

Vu le samedi 28 janvier à la Halle des Chartrons à Bordeaux, dans le cadre du Festival Trente Trente.

"Mouhawala Oula" © Randa Mirza.
"Mouhawala Oula" © Randa Mirza.
"Mouhawala Oula"
Danse - Beyrouth-Liban/France.
Création et interprétation : Alexandre Paulikevitch, accompagné d'Élodie Robine.
Durée : 20 minutes.

Vu le samedi 28 janvier à la Halle des Chartrons à Bordeaux, dans le cadre du Festival Trente Trente.

Festival Trente Trente
S'est déroulé du 12 janvier au 2 février 2023.
>> trentetrente.com

Yves Kafka
Mercredi 8 Février 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023