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Festivals

Festival Trente Trente 2024 Épisode 5 "Queerass(é)", "Lontano", "Landing"

Performance ascensionnelle, combat homérique entre une roue Cyr et sa circassienne, chutes bis repetita… autant d'images se détachant des trois inclassables formes présentées lors du "Parcours Le Bouscat-Bègles" du mardi 30 janvier. Partageant en commun le goût du risque ouvrant sur des territoires hors normes à conquérir, les interprètes des rêves enfouis percutent l'imaginaire. Pour plagier la formule du sociologue Pierre Bourdieu, on pourrait l'énoncer ainsi : "l'art (circassien) est un sport de combat"…



"Queerass(é)" © Pierre Planchenault.
"Queerass(é)" © Pierre Planchenault.
"Queerass(é), Acte I - Paroles d'un corps non-genré" de Mau Cugnat nous invite à le suivre dans ses poétiques voyages au bout de lui-même où, suspendu par la tête à un crochet fixé aux cintres, son corps – comme en apesanteur – bat librement au gré des musiques expérimentales créées en live par son complice.

Au centre d'un anneau lumineux où sont suspendus les casques vestiges de ses performances précédentes, l'artiste (c'en est un, tant ses compositions plastiques sont saisissantes) prend place. Dans la pénombre du dispositif circulaire, on le devine nu sous une tunique transparente, le "dé-couvrant" dans le jeu de montrer-cacher d'un corps s'affichant non-genré. Évoquant son nom "tranché", Mau lance à l'adresse du public : "Je ne suis pas mon nom et toi, tu es personne"… D'emblée sont ainsi dynamitées les cuirasses identitaires, ces lieux de privation de liberté.

Après s'être appliqué minutieusement à confectionner le harnais de bandes plâtrées qui, du cou au cuir chevelu, recouvrant totalement sa tête, lui permettra suspendu à deux mètres du sol d'explorer d'autres horizons, on assiste à sa jubilatoire assomption. La redescente sur terre s'accompagnera de la mutilation au couteau de son harnais, instrument de sa quête ô combien libératrice des pesanteurs identitaires.

"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano", de Marica Marinoni nous propulse au centre du corps à corps organique avec sa roue Cyr, à la fois alliée et adversaire d'un combat dantesque. Mue par une énergie démultipliée par l'envie d'en découdre avec l'objet qui la galvanise, elle se lance dans d'aériennes figures acrobatiques, la faisant tutoyer un monde hors de portée du simple mortel.

Apprivoisant sa créature, telle une dompteuse voulant affirmer son pouvoir, elle la contemple longuement en courant lentement autour du tore métallique, s'asseyant en son centre. Seuls les chocs du métal sur le sol troublent le silence imposant précédant le déchainement des éléments. Alors, alternant figures époustouflantes et puissantes confrontations jusqu'à épuisement, la circassienne, au gré des musiques effrénées impulsant le tempo de ses "exploits", donne à voir un spectacle total où poésie et engagement physique s'épaulent.

Parfois, lors de pauses rendues nécessaires pour reprendre souffle, elle s'écroule au sol terrassée par ses efforts démentiels. Parfois, elle lève les bras en l'air, les deux poings en avant, comme le ferait un boxeur ayant triomphé de son adversaire… Telle une gladiatrice contemporaine projetée au cœur d'une arène où règne la fabuleuse roue Cyr, sa lutte homérique, magnifiée par le jeu des lumières et du brouillard sur scène, nous éblouit autant qu'elle nous bouleverse. Un pur ravissement des sens.

"Landing" © Cie X-press.
"Landing" © Cie X-press.
"Landing", de la Cie X-Press élit la chute démultipliée comme argument dramatique d'une chorégraphie à "rebondissements", les deux danseuses – souvent en miroir l'une de l'autre lorsqu'elles ne se rejoignent pas en une seule entité – n'arrêtant pas de se jeter au sol… pour mieux se relever l'instant d'après dans un perpétuel mouvement.

Sur un sol recouvert de billes de polystyrène jaillissant comme le feraient la neige fraichement tombée, dans un silence assourdissant, les corps d'abord se cherchent, s'affrontent, chutent et rebondissent dans un étrange ballet aux allures irréelles. Quand la musique aérienne vient à trouer la chape de silence, leurs envols l'accompagnent jusqu'à devenir tressaillements compulsifs lorsque les notes s'enflent. De tourbillons féériques en chutes frénétiques, la dramaturgie suit son immuable déroulé jusqu'au final où, enlacées, les deux danseuses semblent s'être rejointes du même côté du miroir. Un rêve éveillé marqué par l'esthétisme des tableaux et l'engagement des corps.

Spectacles vus le mardi 30 janvier lors du Parcours Le Bouscat-Bègles organisé dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux Métropole – Boulazac.

"Queerass(é)" © Pierre Planchenault.
"Queerass(é)" © Pierre Planchenault.
"Queerass(é), Acte I - Paroles d'un corps non-genré"
Performance – création.
Conception et interprétation : Mau Cugat.
Création musicale et technique : German Caro.
Durée : 30 minutes.
Représenté à L'Atelier des Marches – Le Bouscat.

"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano" © Pierre Planchenault.
"Lontano"
Cirque.
Interprète : Marica Marinoni.
Cocréation : Juan Ignacio Tula.
Création lumière : Jérémie Cusenier.
Création sonore : Estelle Lembert.
Création costumes : Gwladys Duthil.
Regard extérieur : Mara Bijeljac.
Régie : Estelle Lembert et Célia Idir en alternance.
Durée : 30 minutes.
Présenté au Chapiteau, Esplanade des Terres-Neuves à Bègles (dans le cadre du festival "Un chapiteau en hiver").

"Landing" © Cie X-press.
"Landing" © Cie X-press.
"Landing"
Danse.
Compagnie X-Press.
Chorégraphie : Abderzak Houmi.
Interprétation : Laurine Brerro et Louna Galesso.
Lumières : Jean-Marie Lelièvre.
Durée : 30 minutes.
A eu lieu dans le Chapiteau, Esplanade des Terres-Neuves à Bègles (dans le cadre du festival "Un chapiteau en hiver").

Festival Trente Trente
A eu lieu du 16 janvier au 2 février 2024.
XXIe Rencontres de la Forme Courte dans le Spectacle Vivant
Bordeaux Métropole - Boulazac.
>> trentetrente.com

Yves Kafka
Mercredi 7 Février 2024

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024