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Théâtre

Festival Traits d'Union #2 : "Froid"

"Froid", Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine

On entre à peine dans la salle que trois comédiens sont déjà là à nous attendre, campés sur leurs chaises. Ce qui nous interpelle d'abord, c'est le choix des costumes : un panel de vêtements de sport tel que sweat, jogging, chaussettes de foot montantes, des baskets usées, un jean déchiré au niveau du genou, des claquettes… Tous trois nous regardent avec des airs plus ou moins ahuris. Leur dégaine nous amuse alors même que nous ne soyons installés.



© Guillaume Niemetzky.
© Guillaume Niemetzky.
On comprend que c'était le dernier jour de l'école ; que, ça y est, désormais, c'est terminé. Dorénavant, il n'y a plus d'obligation, il y a la liberté. Keith, Anders et Ismaël sont dans la forêt. Ils ne font pas grand-chose à part boire des canettes de bière, tenir les comptes de celles qu'ils ont déjà vidées et penser à celles qu'il faudra bientôt racheter. Un tableau et une craie se font les témoins de l'alcoolisation, et par là même de la présence, de chacun des garçons. Ce tableau sera le témoin et le dénonciateur du drame à venir.

Un camarade de classe passe par là, qui se rend à une fête organisée pour célébrer la fin des examens. Il porte une chemise rentrée dans un jean, ramène du champagne et rejoint sa famille et ses amis pour ce qui semble être un super repas. Il se fait interpeller par les trois copains. Alors, ce qui aurait pu rester de l'ordre de la mauvaise taquinerie dégénère très rapidement en un crime xénophobe.

Le décor est un peu facile. Plusieurs sapins représentent la forêt que les protagonistes invoquent à plusieurs reprises. La scénographie va tout de même finir par révéler son potentiel. La mise en scène de l'instant final est très intéressante et particulièrement bien réussie. L'auditif et le visuel s'allient pour créer une ambiance angoissante et agressive qui nous entraîne dans la dégringolade de la trame. L'épisode est long, gênant, mais retranscrit parfaitement l'état de panique, de violence et de haine qui auréole la scène.

© Guillaume Niemetzky.
© Guillaume Niemetzky.
Alexandre Gonin interprète Ismaël, un jeune musulman passablement alcoolisé. Il est tout simplement génial et nous fait rire tout le long du spectacle. Édouard Eftimakis, Axel Giudicelli et Arthur Gomez jouent des personnages beaucoup moins comiques, qui dénotent donc moins que celui du bouffon, mais ils tiennent une belle et égale énergie jusqu'à la fin.

Chacun incarne un rôle bien défini dont les traits sont très stéréotypés. Trop même. La caricature du jeune des banlieues, livré à lui-même, en marge de la société, devient rapidement gênante. La fin est attendue et l'atrocité du propos perd de son impact sur le public. Peut-être que nous ne sommes plus aussi sensibles à ce genre de thème car c'est une chose trop courante dans le monde actuel, mais il aurait probablement fallu tempérer un peu la représentation des différents caractères.

"Froid"

© Guillaume Niemetzky.
© Guillaume Niemetzky.
Texte : Lars Noren.
Traduction : Katrin Ahlgren et Amélie Wendling (L'Arche éditeur).
Mise en scène, scénographie et création lumière : Romain Bouillaguet et Emmanuel Pic.
Avec : Édouard Eftimakis, Axel Giudicelli, Arthur Gomez en alternance avec Romain Bouillaguet, Alexandre Gonin.
Collectif La Fièvre.

A été représenté dans le cadre de "Traits d'Union", le festival de la jeune création, #deuxième édition Frontières.
Le samedi 13 janvier 2017 à 20 h 30 et le dimanche 14 à 19 h.

Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine, 01 46 71 52 29.
>> theatre-elduende.com

Ludivine Picot
Mercredi 24 Janvier 2018

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
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Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023